Les silences de mon corps d’arbre, cette chair mutante au grésillement presque imperceptible. Les frémissements d’écorces s’entretissent sous le passage des doigts, de gouttes d’eau, ou la chute d’un cheveu. Le tissu de peau se plisse au gré de mouvements — ouvrir ou fermer la main, serrer ou desserrer le poing, plisser ou déplisser le front — laissant apparaître des chemins de sang bleutés et sinueux, des motifs de lettres, de formes, de rides, qui s’entrecroisent pouvant laisser croire, à un esprit empreint d’imagination, qu’un message muet s’écrit mais ne sait point se lire. Un court instant on croit pouvoir déchiffrer cette énigme immobile puis changeante à nouveau, l’image semble se dévoiler, jaillir hors de la peau, ouvrir ses entrailles, puis tout se referme, calfeutre ses dires dans la pénombre du corps. Un membre s’étire croyant atteindre un infini, une sorte de ciel, un infini pourquoi pas, qu’il ne fera qu’effleurer du bout des doigts au travers de l’entrelacs de lueurs sans véritable lumière. Un autre membre tente alors lui aussi sa chance, dédoublant un geste dans un fouillis de souffles. Un bouillonnement envahit alors toutes les extrémités, prêtes à s’extraire pour aller un peu plus loin, là où prendre la lumière, étancher le désir qui saisit. Les deux membres levés, étirés dans l’attente du début ou de la fin de quelque chose, quelques mots peut-être mais qui ne viennent pas Entre les bras, entre les branches, quelque chose tente de percer la brume qui recouvre la peau. Des failles, des fractures, des faiblesses de la peau dessinent des détails dont on ne sait plus rien : cicatrices d’un passé à jamais enfoui, coups de becs d’oiseaux de mauvais augure, griffures d’un temps qui ne reviendra plus. Épuiser le visible de chaque parcelle de peau, s’attarder un peu sur ce manuscrit d’un autre âge où subsistent les traces de pâles hiéroglyphes. La peau pleine de taches brunes et de silences d’une vie bien remplie signe l’avenir d’un crépuscule imminent. Derrière, les silences d’un corps. Où se terre une vie bien fragile. L’invisible d’une vie. Comme les pages noircies du carnet que l’on a glissé dans une poche ou dans un sac à dos, juste avant une errance, un voyage, quelque escapade solitaire ou une simple marche entre pensées éparses, longeant des ravins couverts de ronces. Tout ce qui s’éparpille dans les méandres d’un cerveau, feuilles mortes du quotidien que l’on oublie de plus en plus vite. Et, dans ce foisonnement, se penser arbre dans le paysage, aller frotter sa peau aux écorces proches. Faire le choix d’un arbre un particulièrement beau ou grand ou singulier. En élire un que l’on peut enlacer, poser sa joue tout contre, et rêver, croire même, de se fondre en lui. Que c’est la place où être. Mêler ses pieds à ses racines, s’enfoncer dans l’humus qui le nourrit. Se tenir dans cette immobilité feinte et laisser le monde venir vers soi.
quelle merveille Solange !
j’aime ce passage du méandre du cerveau aux feuilles mortes…derrière avec tout ce qui fourmille… riche !