Derrière les silences, son corps emmuré. Il n’y a pas de corps plus neutre, plus parfaitement transparent, plus au fait du vide que son corps de femme enfermée dans la maison. Son corps s’est délabré. Il l’a trahie. Le miroir de la salle de bain en est le seul témoin. Au bord du lavabo, son dentier trempe dans un bol. Il est la quintessence anonyme de son corps détruit et elle trouve ça très bien. Il ne contient rien de plus que ce qui y repose. Ce qui veut bien tenir encore. Du corps humain souffrant, d’une souffrance liquide, à la limite du supportable. De la maison où personne ne vient parce qu’ils ont honte, elle a rêvé qu’elle la tuait. Au milieu de sa cuisine, dans une nuit habituelle où s’acheminent les fous et les chiens, elle la frappe à mort. Elle n’a plus mal alors, elle peut marcher, courir vite pour se jeter sur elle, et la ruer de coups avec un objet contondant, une barre de traction qui trainerait dans sa chambre d’adolescent, et la vieille tombe ensevelie sous les coups de l’objet métallique, débordée de sang, sans un cri peut-être. Ou alors si, justement, son corps à elle qui crierait. Avec des cris de dents, de chiens enragés toutes canines devant, qui arracheraient la chair, et le dos malgré tout un peu courbé par le poids de l’horreur, de la voir ainsi matraquer la marâtre, son éternel bourreau, celle qui l’a dépossédée de sa maison, de leur maison, et la vieille qui la regarderait sans rien pouvoir faire d’autre que de subir l’effroi de sa violence qui la dépossède, la rosse, lui éclate tout le corps, quand c’est son corps à elle qui se régénère, que le foie la rate explosent, et la mâchoire fracturée comme une revanche à ses dents effondrées, ses rotules pour les siennes, qui ne la portent plus tellement, elle si lourde, emmurée dans son corps, alors elle broie ses os, ses poignets, ses rotules encore, les deux coudes, elle s’affale sous les coups, glisse sur elle, elle ne tient plus debout, son corps lourd, derrière le silence, des crissements, des gestes sur le carrelage maculé de sang, elles tombent de tout leurs corps dans un même mouvement, et du couteau qu’elle saisit sur l’évier de la vieille, elle l’assassine, elle y va de bon coeur, de tout son coeur qui dès lors n’est plus nécrosé, elle fend sa peau comme une soie fragile, sa peau fine et ridée qui s’ouvre pour laisser le sang s’épancher et les mots qui sortent alors de la bouche sont confus, ils racontent une histoire de corps de femme abandonnée, jamais aimée jamais considérée jamais choyée, malgré sa beauté passée sur le vieux port, le sang s’épanche, elle s’épanche en mots confus, ce qu’elle dit se perd dans le tumulte du sang, des viscères, de la matière blanche et spongieuse du cerveau qui sourd de la tête éclatée de la vieille, ce qu’elle dit, ce que crie son corps raconte l’image dernière de son corps disloqué. C’est un cri puissant, sonore, vindicatif, qui exprime quelque chose derrière l’horreur de son acte, quelque chose d’authentique. Elle dit que c’est injuste que son corps soit comme il est maintenant, prisonnier de ces murs humides, de cette maison qui n’est pas la sienne, pas la leur, et que la vieille peau aurait dû mourir, qu’elle mériterait d’être morte pour le mal qu’elle leur a fait, à tous les deux. À présent, elle marche dans la maison, dans les couloirs de la maison, et ses genoux la font atrocement souffrir. Elle est lourde à nouveau. Elle se souvient de son corps d’enfant quand elle courait. Si elle tuait la vieille elle pourrait revivre dans le cri démultiplié de son enfance. Les os de ses hanches craquent. Il se confondent avec le silence de la maison. La perte de l’enfance. La perte du corps. Elle respire mal. Elle s’allonge de tout son corps. Lourdement. Elle a tiré le drap jusqu’au menton. Il est parti depuis une semaine. Elle est seule dans la maison. Emmurée dans son corps. Elle regarde ce corps devenir un territoire, son territoire de grande détresse. Elle se souvient quand elle marchait sur le vieux-port. Elle se souvient de ses chaussures à talons. Si proches ces talons. Si proche le souvenir de son corps. C’est à l’endroit des talons qu’elle se mue.
Passée lire et écouter. Entremêlement de vide et tourment, en sensations internes le personnage est trouble cela lui donne une présence forte.
les cris démultipliés de l’enfance et voilà qu’un autre espace encore s’ouvre derrière « l’emmurement ».