Derrière le silence mon corps, animal étranger et exotique, j’aimerais avoir l’esprit d’un dompteur, le cadrer, l’empêcher quelquefois, mais à d’autres moments, je suis comme l’enfant face au fauve, je l’admire, il m’étonne, il peut être une extension contrôlable, un ensemble d’appendices techniques, utiles, et froides comme l’acier inoxydable, puis dans la seconde, le rugissement arrive et l’animal est là. Il impose sa voix, lui qui devrait obéir. Il lui faut sa ration, selon les jours il peut manger une purée inodore, mais de temps en temps il a besoin de sang et de chair, et ce sang qui coule, ce sang magique, me dépasse, me dérange, et m’anime, comme le courant électrique anime le jouet de l’enfant. Mes mandibules claquent, mes membres tremblent, de petits tressaillements agitent mes griffes, l’appétit du monde m’ouvre en deux. Le corps se blesse quelquefois, alors sa présence inutile me pèse, toutes ces parties molles, tous ces recoins intérieurs, à quoi peuvent-ils servir, ne sont-ils que des défauts dans la carapace. Chacun de ses points faibles sait nous faire chanter à sa manière. Je deviens un vase fissuré qui laisse passer un filet d’eau, ou un tambour fou dans lequel on aurait enfermé un rat, ou un morceau de bois mort accroché à mes chairs, tirant sur mes tendons, presque à les arracher. Mais l’ordinaire de cette baudruche est une danse lente, inoffensive et pesante, un Paso doble domestique. Cette marche automatique, me déplace et me meut sans esprit, vide de sens, ce ruminant bovin imite la vie. Le soir pourtant il y a quelquefois quelques éclairs fous, sans bouger, ou si peu, la machine s’emballe, elle s’enivre et tous les possibles sont à portée de main. Cet étranger à moi même, me comprends et m’assiste et je sens en moi que je n’aurais pu trouver un meilleur compagnon de route. J’en suis convaincu pendant quelques instants, mais comme dans tous les couples, ces moments d’harmonie ne sont que passagers, et la baudruche animale redevient très vite inutile.
Merci pour la baudruche animale (et tout ce corps de fantaisie) — pourvu qu’elle n’éclate pas !
mais je te l’écris à toi comme j’en ai déjà fait la remarque ailleurs — pourquoi pas un titre moins générique ? Ce texte le mérite
J’ai modifié le titre, cela fait parti du travail. Merci
plaisir de te retrouver, vase fissuré ou tambour fou 🙂
C’est mieux quand la machine s’emballe que l’animal dépasse la baudruche…