Derrière les silences, il y a le nécessaire, l’inespéré, celui qui fait taire les autres, celui qui ouvre, qui mène, qui définit l’espace ambiant, on l’appelle silence lui aussi, quand il n’est que l’interruption du bruit principal, celui qui dicte, la voix de tête, et si lui se tait, on nomme l’ensemble silence, quand pourtant tant d’autres continuent le vacarme, derrière les silences, mon corps d’elle abandonnée ou morte, d’avoir attendu, quand leurs silences la niaient, la rejetaient, les volets claquant aux vents comme gifler le silence, et pourtant, mon corps d’elles toutes et même de lui sans corps voué dans le silence de l’au-delà à qui on a prêté parole, pour faire taire le silence, parce que derrière les silences menaçants, mon corps et de lui il y aurait quelque chose à espérer, qu’il pousse sa gueulante, qu’il frappe du poing sur la table, après tout c’est bien ce qu’il faut faire pour crever le silence, les tympans, dire la loi, dire la loi c’est moi, mon corps oscillant, de moi à elles, comme un elfe primesautier, comme lui au bord des tombes désaffectées à qui elle a prêté paroles et ce serait pour lui faire dire quoi, quelque chose qui serait plus essentiel que la vérité, lui offrir accès à la fiction, non, cela ne s’est pas passé comme cela, ne raconte pas ce qui se passe chez nous, silence, ce qu’elle réclame, silence, d’une voix qu’elle n’a pas besoin d’arracher d’elle, qui profère, réclame, exige, silence, elle veut tous les silences et aussi ce qu’il y a derrière, son corps, à qui, son corps avec un nom de naissance comme pseudo comme pseudo écrivaine, silence, donner corps dans le silence, son corps sorti du silence et aussitôt y replonge, derrière les silences, son corps d’herbes, de chat, d’oiseau, de vagues, de terre, de carottes, de bébé, de vieille, d’amoureuse, de fantôme, le silence n’existe pas plus que le vide, il faudrait un procédé physique complexe, son corps qui a donné vie, donne, donne, donne-moi, vie ou livre c’est pareil, qui peut encore, pourra toujours, tant qu’il y aura vie, derrière tous vos silences, il donnera son fruit, fruit après fruit, jusqu’à ce que la branche au bois couvert de champignons et mousse poussées en compensation d’une sève qui ne parvenait plus à monter pour irriguer le dedans perde tout flexibilité, raide et froide et grumeleuse et craque d’un coup, silence de l’oubli, silence de fin du monde, silence du recueillement quand dans la tête de chacun une voix parle et ce serait vacarme assourdissant si tout à coup elles parlaient à voix haute, elles couvraient la voix du prêtre, ou de celui qui fait office, il reste des églises de pierres bien plantées au milieu des villages et le gars qui joue à la belotte au club des séniors, c’est lui qui dira l’oraison et la messe, quand la tradition acceptera de faire silence plutôt que comme si c’était encore le temps d’avant avec monsieur le curé qu’on appelait mon père, et lui, celui qui joue à la belotte, on l’appelle comment, après la minute de silence et ce qu’il y a derrière, mon corps de lui aussi, qui aurait rêvé de devenir curé depuis le temps où il était enfant de chœur, ou le corps de lui au service de sa communauté, qu’il n’y avait plus personne pour dire la messe quand le père Machin avait pris sa retraite ou était mort d’un coup, retrouvé mort dans la sacristie alors qu’il posait ses robes et ses dentelles avant de rentrer au presbytère où Adèle l’attendait avec le poulet rôti du dimanche qu’elle sortirait du four en entendant son pas dans les graviers, mais seul le silence qui durait et le poulet finirait brûlé, ce serait bien la première fois que ça lui arriverait, à veiller sur lui dans tout le silence du matin dans la cuisine et ce matin-là le poulet, on l’avait ressorti du four tout carbonisé. Derrière les silences, mon corps à lutter pour insuffler de la vie, mon corps à se tordre pour essorer le chiffon sorti du seau la torsion des poignets en sens inverse et forcer tant qu’on peut pour en extirper tout ce qu’on peut d’eau jusqu’à ce qu’il ne reste que l’humide, comme ce silence au-dessus du bruit du vent, des chants d’oiseaux, de la marmite où s’agite l’eau des pommes de terre, des cuillères qui raclent le fond de la poêle, la chaise tirée sur le carrelage, tordre le silence et dire quelque chose il faudrait, laisser parler le ventre, lui seul à rester vivant, il parlerait comme remonter la bulle à la surface blanchie de l’eau amidonnée des pommes de terre trop cuites, derrière leurs silences, mon corps qui était resté silencieux de n’avoir pas trouvé quoi dire ou pas osé, derrière leurs silences, mon corps qui écrit, mon corps qui cherche, mon corps qui s’approche, mon corps qui s’approprie, mon corps qui épouse le silence, s’y vautre comme retrouver respiration apaisée, silence, écoutez-moi.
Merci Anne pour ce texte où les voix, les bruits, les gestes trouent les silences, les réveillent, les font vibrer de vie.au delà de l’ordinaire.
Merci, Marie. J’aime beaucoup l’écriture de ton commentaire.
Très beau. Et poignant.
Merci de ton passage, Perle. Sympa, se recroiser.
Beaucoup de mouvement et densités dans ces silences qui forcent sans pousser, circulent finalement, dans cet espace. Merci Anne.