Je sais les silences qui entourent mon corps comme pansements, bandes bien serrées sur plaies, les silences glissent sur la peau, la plissent, striées du tissu bref des non-dits, des douleurs bien comprimées sous le crêpe stérile, la contention du gémissement, le bâillon du cri apposé à l’invisible blessure. Ce que le silence fait naître de résilience, d’acceptation, de souffle, de respiration pour faire digérer. Ce qu’il faut de résignation pour se contraindre, ce qu’il faut de tenue, figée, alourdie de ses membres. Je sais que le corps passe par pertes et profits son comptant de floraison, ces printemps à venir, toujours enfouis sous terre, affleurant mais défaits d’avance. Le corps bourgeonne, éclot dans sa sclérose même, dans la réinvention d’une jeunesse déjà essoufflée. Le corps chassé de ses terrains déjoue chaque question posée, muet, coi devant l’adversité. Derrière les silences, mon corps qu’elle fait peser davantage à force de regards. Mon corps inerte de pas trouver de réponse à ses questions muettes. Mon corps manque de répondant, il manque d’assurance, mon corps vide puisque vidé de sa force, de sa substance. Mon corps mensonger ne tient plus ses promesses, ne tient plus assez droit, se courbe, se tord, penche toujours plus vers la chute. Mon corps percé d’outre sans eau, sans ossature suffisamment résistante, sans cette musculature qui le couronnait. Elle a fondu et c’est fonte des espérances. Ce qui fond aussi c’est la confiance, en moi, en elle. Son corps contre mon corps c’est Abel et Caïn, il y a forcément un vainqueur et ce ne sera pas le mien. Décroissant, aminci, amenuisé, corps affaissé, décimé, amoindri. Réduit à ses fonctions organiques, respirer, digérer, uriner, déféquer. Réduit à son sang, sa lymphe, corps seulement fluides. Je salive et je crache ma bile. Ce qu’humecte les humeurs maussades du corps malades. Ce qui ne le terrasse pas encore est un répit. Je me vois d’avance dans un fauteuil roulant qu’elle pousserait et je ne sais si c’est un fantasme ou un cauchemar. J’imagine aussi l’hôpital, le cathéter, les sondes, les anti-inflammatoires en intraveineuse, les bandages peut-être. Elle dit que j’exagère, que je deviens hypocondriaque, que cette dégénérescence est surtout celle de mon esprit, finalement bien plus malade que mon corps. La taiseuse qui essaie de convaincre la mal portante, la boiteuse, l’éclopée. Elle se paie de mots mais ne fait que me les enfoncer dans la bouche. Une manière de bâillon pour que j’arrête de me plaindre. Les mots me ressortent par les pores, je les transpire mal, il reste des traces sur ma peau, des tâches impossibles à enlever. Je ressasse. Je rabâche en silence tous ces mots supposés me soulager, cette médication qui ne me vaut rien. Cette posologie qui ne fait qu’accentuer mon acrimonie. Je préfère ses silences, ils sont moins complaisants, ils laissent passer toute la gamme des déceptions, toute celle des incertitudes. C’est dans ses yeux surtout que je lis la tristesse. C’est là que je lirai le moment où probablement elle décidera de me quitter pour moins malingre et moins morose, moins rancunière aussi. Elle fait pourtant tout ce qu’elle peut pour me soutenir, je ne sais pas comment elle fait pour supporter mon injustice crasse à son égard. Est-ce que l’amour peut vraiment ça ? Est-ce que l’amour peut pallier mon insanité ?