Derrière le silence, mon corps ne sait plus où il en est. Dans sa molle corpulence, il revient d’un long chemin où il s’est fait sien, il ne s’est fait plus qu’un. Il est entier, il n’est plus éparpillé. Il ne sait pas où il va, par quel bout se prendre de s’être ainsi retrouvé. Mon corps ne se sent plus. Je ne sens plus la pesanteur de mon corps qui a trouvé son équilibre ailleurs. Dans quel ailleurs ? Ailleurs c’est la fontaine Doudée, ailleurs c’est la source qui prend ses aises dans le lavoir. Et mon corps voit cela. Et mon corps se dit qu’il vaut mieux voir cela, s’abandonner au pied de la source pour la laisser filer dans l’indifférence générale. Tout le monde est indifférent à la source. Elle n’importe à personne d’autres que les poissons d’argent qui filent à l’eau de source, au pied du lavoir. Mon corps sait cela. Il ressent tous les remous de la source qui bouillonne à ses pieds. De l’eau qui frémit pour un corps qui palpite et qui n’a qu’une seule envie : te retrouver au pied de mon lit. La source prend la tangente et elle est urgente. Il devient urgent de la préserver et ça mon corps le sait. Il prend la fuite à chaque fois qu’on le préserve des embruns. Pas d’embruns à la source. Juste mon corps qui se lamente de ne pas rencontrer le tien. En fait mon corps n’est plus le même depuis que je me suis suicidé. Il est lourd, il est pesant, il est corpulent. Les poils se hérissent au moindre coup de vent. Mon corps est jonché de poils drus et châtains, de la couleur de mes cheveux. Je les dissimule derrière mes vêtements. Je suis taillé dans la masse et je sculpte des corps qui ne m’appartiennent pas. Je taille dans le marbre une silhouette de petite fille occupée à jouer avec sa tablette, je sculpte un faune au repos, avachi sur un canapé. Je ne me rappelle plus pourquoi je me suis suicidé. Je voulais laisser ma vie en suspens, qu’elle se suspende à mon œuvre, à mon métier de tailleur de pierre. Je suis parti près de la source qui m’a vu naître. Je ne voulais pas de mon lit. Je suis parti près de cette source où tout s’est renouvelé. Le cresson a poussé. Il y en avait à mes pieds quand on est venu me chercher. On a constaté que j’étais taillé dans la masse, de sexe indéfinissable. Je suis parti loin de tous, loin du faune avachi et de la petite fille à la tablette. Mon corps est lourd, il est indéfini. Il est parti dans les herbes folles, près de cette source où le cresson grandit. Mon corps s’est rassemblé et il va partir en fumée
Un retour à la source (et comme un transfert) où retrouver son corps : au bassin de la source, à son jaillissement (résurgence ?), à son écoulement aussi (sa fuite entre les orteils eau qui file poissons d’argent), à l’élément eau… j’adhère — mais pourquoi dans la mort (ou dans la pierre) ?
Le minéral est très présent à cette source. Je reviendrais peut-être dessus plus tard. Ça dépendra des autres propositions
Belle exploration, on suit le corps, le corps et la source, on arrive au corps suicidé, à celui de pierre… et fin très réussie. Merci, Elise.
Merci Anne de ta lecture
Intéressant, en grossissant un peu, ça pourrait faire un conte pour enfant plutôt pas mal, avec beaucoup de place pour l’imagination.Cela me fait penser à l’abbé fouré des rochers de Rothéneuf à Saint Malo
Je ne connaissais pas cet abbé Foure mais c’est une figure inspirante après consultation. Pourquoi pas donner une suite en effet, je n’y avais pas pensé avant ta remarque mais ce personnage pourrait revenir en effet. Tout dépend des autres propositions à venir. Merci pour ces encouragements
Joli et notamment « Je suis taillé dans la masse et je sculpte des corps qui ne m’appartiennent pas ».
Merci Perle d’avoir souligné ceci.