Le sentiment d’avaler l’air l’extérieur en dedans, l’air vient du dehors et s’introduit dans un dedans, il y a un mouvement qui va du dehors vers le dedans il y a une volonté du dedans de se remplir d’air du dehors, il y a une volonté du dehors de venir occuper un instant le dedans, il y a un dedans et un dehors, il y a de l’air, il y a le sentiment d’avaler l’air et il y a le sentiment d’expulser l’air du dedans vers le dehors l’air entre par le nez, par la bouche, par la peau, par les mains, par les yeux, par les oreilles, le corps tout entier avale de l’air extérieur, le corps est baigné tout entier dans l’air ambiant, l’air extérieur entoure le corps tout entier, on pense que l’on avale de l’air par la bouche, par le nez, on ne pense pas l’avaler par les yeux, les oreilles, les pores du corps entier, c’est un vieux sentiment, on s’y est habitué, on n’y fait peu attention, le sentiment d’avaler de l’air et de l’expulser, C’est vital de consommer de l’air sans trop y penser, si on commence à y penser on ne peut plus s’arrêter, on est hypnotisé par l’air qu’on avale et qu’on recrache, on est hypnotisé par cette réalité, mais si on y fait attention ça devient un sentiment, c’est le sentiment d’avaler l’air comme on avale la réalité sans y prêter trop d’attention sinon on ne ferait plus que ça, d’être dans le sentiment d’avaler et recracher quelque chose d’invisible, on serait dans le même sentiment qu’éprouve peut-être les premières bactéries, elles ne font peut-être que ça les bactéries, elles avalent quelque chose, de l’air et elles le recrachent, avant que ça ne soit de l’air c’était autre chose, quand les bactéries sont nées, il n’y avait pas le même air, c’était un autre élément, un élément que nous humains n’aurions pu avaler pour vivre, c’est un élément qui a été transformé par les bactéries, c’est à dire que si aujourd’hui on avale et on recrache de l’air, si aujourd’hui on a le sentiment d’être en vie on le doit pour une grande part aux bactéries, et peut-être que nous participons aussi à la création d’une autre espèce à venir en avalant et en recrachant de l’air, peut-être que tout ça créera un autre sentiment dans quelques milliers d’années, une nouvelle créature qui sera consciente d’avaler quelque chose et de le recracher, une nouvelle créature qui éprouvera un sentiment, qui peut-être éprouvera un sentiment de reconnaissance envers les êtres précédents qui avant elle ont avalé et recraché de l’air, peut-être que ça ne se produira pas de la même manière, peut-être que la réalité de cette créature nouvelle sera une nouvelle réalité, peut-être que le sentiment d’avaler et de recracher de l’air sera perceptible autrement, mais que ça ne changera pas vraiment la nature du sentiment, ni celle de la reconnaissance qui sera éprouvée dans quelques milliers d’années, il faut reconnaître qu’on en peut pas se prononcer sur l’avenir vraiment, mais on peut y penser de temps en temps, on peut faire autre chose que d’avaler et recracher de l’air sans y penser, on peut y penser et en même temps éprouver du sentiment, penser à ce sentiment ou ne pas y penser, ça ne changera sans doute pas grand chose à l’avenir mais si on y pense en même temps qu’on éprouve ce genre de sentiment on peut éprouver le sentiment de servir un peu à quelque chose.
Le sentiment de servir à quelque chose met en joie, la joie de servir à quelque chose, simple, nécessite peu de moyens si on y pense, et une fois qu’on y pense le sentiment peut venir et alors on peut se remplir du sentiment de servir à quelque chose, ça nous remplit, ça nous occupe, ça peut aussi nous envahir, ça peut tellement nous envahir qu’on passe son temps à vouloir à tout prix servir à quelque chose pour éprouver toujours le même sentiment qui nous met en joie, on voudrait toujours être en joie de servir à quelque chose, et quand ça n’arrive pas on éprouve le sentiment d’avoir raté quelque chose, c’est un autre sentiment qui nous envahit, un sentiment de tristesse infinie, le sentiment de ne servir à rien nous vide, la tristesse crée le vide, le désert, l’inutilité, l’envie de mourir, c’est le sentiment inverse que l’on éprouve, le sentiment de ne servir à rien, le sentiment d’avoir perdu la joie de servir à quelque chose, le sentiment du regret du remord de n’avoir pas pu servir à quoique ce soit à qui que ce soit, c’est un sentiment désagréable parce que servir à quelque chose est agréable on le sait, on l’a déjà éprouvé, on s’en souvient, on voudrait remettre ça, recommencer, mais quelque chose nous en empêche, malgré tous nos efforts on ne parvient plus à servir à grand chose, on découvre alors le sentiment de nostalgie d’avoir servi à quelque chose et de ne plus servir à rien.
Le sentiment de courir au ralenti dans le rêve est peu agréable, il arrive au moment où on voudrait prendre les jambes à son cou, mais on se rend bien compte dans le rêve qu’on fait du sur place. Le sentiment de courir au ralenti dans un rêve est une gène, on ne peut dire que c’est un cauchemar, parce que le sentiment du cauchemar est beaucoup plus aigu que le sentiment de courir au ralenti en faisant du sur place, c’est pénible de faire du sur place, on peut s’en rendre compte à l’intérieur du rêve mais ça ne fait pas peur comme le sentiment d’être en plein cauchemar, c’est un mauvais moment à passer, on a le sentiment que ça ne va pas toujours durer, qu’on va se réveiller et qu’on pourra avancer, mais parfois on oublie que c’est un sentiment que l’on éprouve dans un rêve, on croit que c’est une réalité de courir en faisant du sur place.
Le sentiment de la cerise qu’on vole sur un cerisier appartenant au voisin, le sentiment du vol de la cerise qu’on met dans sa bouche, ressemble au sentiment de la mure qu’on cueille dans les haies bordant les champs l’été, mais il est nettement plus ardent, il brûle les yeux, il brûle les doigts, il brûle le corps, surtout les genoux que l’on écorche pour grimper sur le cerisier du voisin, mais on ne sent rien, ça brûle mais le désir de la cerise qu’on mettra dans sa bouche est plus intense, plus fort, que les brûlures des genoux, le sentiment de la cerise qui éclate sous la pression des dents dans la bouche, le sentiment du vol, de l’interdit, et de ce fruit qui explose en bouche est supérieur au sentiment de la mure qu’on cueille sur les haies des chemins et que l’on sent fondre mollement dans la bouche.
Le sentiment de l’arête de poisson qui se coince dans la gorge est tout à fait désagréable, Il est désagréable pour plusieurs raisons auxquelles on ne pense pas quand une arête de poisson se coince dans la gorge, on n’y pense pas parce qu’on avale une bouchée de la chair du poisson sans la mâcher, sans prendre le temps de goûter le goût de la chair du poisson, parce qu’on consomme du poisson sans y penser comme on consomme de l’air sans y penser, parce qu’on consomme tout sans y penser parce qu’on a le sentiment d’avaler le monde et de ne pas être rassasié, parce que le monde n’a pas de goût ou bien on ne veut pas savoir le goût on ne veut pas l’explorer, on en a peut-être peur, on en est dégoûté, on avale le monde sans le mâcher tout rond et tout à coup panique on tombe sur une arête qui se coince dans la gorge, on a le sentiment que c’est la fin du monde, qu’on va crever à table en mangeant du poisson ou du monde devant tout le monde , l’arête qui se coince dans la gorge nous expulse illico presto du monde , c’est insupportable comme sentiment, effrayant bien sûr mais pas seulement c’est surtout honteux d’être en train d’éprouver le sentiment de crever en ayant avalé une arête de poisson, et paf voilà le sentiment de la honte qui se mélange au sentiment de la peur de mourir, au sentiment d’être un incorrigible glouton qui veut avaler le poisson et le monde sans prendre le temps de le goûter de le mâcher de le savourer un tant soit peu.
Le sentiment de perdre son temps quand on est vieux est inversement supportable au sentiment de perdre son temps lorsqu’on est jeune mais c’est une simple affaire d’habitude, plus on sera habitué à éprouver le sentiment de perdre son temps plus on sera armé afin de le supporter, sauf quand on décidera d’être vieux, parce qu’à ce moment là, précisément, on ne voudra plus du tout éprouver le sentiment de perdre son temps, au contraire on se dira le temps presse, on essaiera de gagner du temps au contraire, après en avoir beaucoup perdu, ce qui est tout aussi idiot si on y pense, le sentiment de gagner du temps d’après certaines expériences relatées par des tiers n’est satisfaisant que quelques minutes à peine, c’est le même sentiment que celui qu’on peut éprouver lors d’un déjeuner de soleil.