TCL ligne 21, arrêt Montfort
De l’arrêt de bus, il ne restait que deux piliers verticaux métalliques gris anthracite qui portaient encore les informations sur la ligne, ses arrêts et les horaires. La cage en verre et les sièges avaient disparu, juste une empreinte au sol dans le goudron du trottoir et la marque en creux des poteaux qui avaient dû soutenir l’ensemble. Pour le confort des voyageurs, on avait coupé l’herbe du talus et il en restait des brins séchés dans les fissures du revêtement. Était-elle au bon endroit, dans le bon sens, à la bonne heure ? Personne à qui poser des questions. Elle n’était pas coutumière des transports en commun et s’aperçut que la lecture du plan et de la fiche horaire exigeait de la concentration. Les exceptions de jours, de période (scolaire ou non) figuraient en renvoi à côté de bon nombre de chiffres et il y avait aussi un itinéraire alternatif. Elle demanderait au chauffeur. Elle décida d’attendre en égrenant la liste des arrêts : Montfort, Chamagnieu, Plambeau, Limonest cimetière, Limonest centre, Limonest maison de retraite, Limonest place, Les Balmones, Paris, Hameau du puy d’or, Les villas, Limonest le puy d’or, La Gabrielle, Allée des hêtres, Rue des vergers, L’époux, échangeur sans souci, Dupuy, La Tuilerie, Champagne chemin du pavé, Champagne de Gaulle, Champfleury, Champagne centre, Champagne Lanessan, Duchère avenue de Champagne, Duchère Balmont, La Piemente, Mouillard, Gare de Vaise. La plupart ne lui disaient rien (elle parcourait d’habitude ce trajet en voiture) mais chantaient bien à son oreille et racontaient un peu l’histoire de l’urbanisation de ces faubourgs de Lyon ; les habitués devaient connaître cette litanie par cœur. Ne voyant rien venir, elle marcha jusqu’à l’arrêt suivant au milieu des herbes folles du bas-côté que personne n’avait coupées. Chamagnieu, tout près d’une immense bâtisse dont le parking comptait de nombreuses voitures, l’ancien château de Montfort qui avait été relai de poste puis forge, puis vendu en plateaux par un promoteur. Une automobile s’arrêta (peut-être pour l’inviter à monter) puis repartit au bout d’une minute ou deux. Pas très loin, elle voyait le panneau de l’arrêt suivant : Plambeau, orthographié Plambost sur les cartes antiques, signalé comme maladrerie ou comme hôpital. Elle attendrait là, sous les platanes qui bordaient encore cette départementale, l’ancienne route royale n° 6 qui avait connu les diligences du temps où elle reliait Paris à Lyon et dont le tracé avait été rectifié avant 1850 pour éviter la côte de Limonest trop rude et trop mal famée dans la traversée du bois d’Ars. Dans ce village où elle vivait depuis vingt ans et dont elle connaissait un peu l’histoire, à quelques minutes à pied de sa propre maison, elle se sentait en terre aussi inconnue qu’au bord d’une route du Kazakhstan. L’expérience en valait la peine. Le trafic incessant de voitures et de deux roues aurait pu la ramener à des sensations moins exotiques. Mais n’étaient-ce pas de dangereux trains routiers fonçant vers leurs lointaines destinations qui la frôlaient ? Le sentiment du danger la fit s’écarter un peu plus du macadam pour attendre en sécurité.
J’espère que dans les nombreuses voitures du parking il y a ma Bentley… 🙂
Il faudra que j’aille voir….
l’histoire des lieux tu la fais ressentir de façon tellement présente, comme une épaisseur du texte – sa chair – J’aime beaucoup !