TARMAC

(…) puis c’est là rien que là et c’est ça d’abord ça deux traits deux traces des empreintes de pneu une pelleteuse tout à l’heure débouchant d’un chantier laissant ça deux traces deux empreintes de boue sur la route à mesure que l’engin une machine jaune et noire sortait du chantier et prenait la route s’éloignant du chantier dans un grand vrombissement (…) dans un grand au revoir (…) laissant derrière lui un chantier béant des terres molles et oranges (…) des terres glaises et collantes lui tombant des pneus par plaques entières et du bas de caisse (…) formant deux empreintes deux traces de pneu parallèles s’incurvant d’abord en sortant du chantier puis étant rectiligne à mesure que l’engin prendrait la route s’éloignant du chantier lentement (…) dans un grand vrombissement (…) la pelleteuse s’éloignant lentement dans un grand vrombissement raclant de sa pelle le tarmac en sortant du chantier en raison d’un dénivelé (…) le niveau de chantier béant étant plus bas de dix centimètres disons dix centimètres que le niveau de route grise et terne déroulant son tapis son ruban gris et terne de tarmac le long d’une maison basse et ancienne et d’un pré la pelle de pelleteuse sortant lentement de chantier raclant alors le tarmac de route (…) l’ouvrier manœuvrant la pelleteuse peut-être distrait peut-être pressé négligeant le dénivelé (…) raclant alors route puis enclenchant le long bras jaune et noir articulé le relevant dans les airs (…) laissant alors traces quelques-unes sur tarmac comme des éraflures comme si tarmac s’était éraflé à un mur ou à quelque chose de dur et solide (…) la pelle de pelleteuse tout en métal étant dure et solide les dents de pelleteuse raclant le sol en sortant du chantier et laissant sur tarmac des éraflures grises puis prenant la route en laissant sur le sol deux empreintes (…) des rubans de glaise humides et collants adhérant au sol sur quinze mètres s’estompant ensuite à mesure que pelleteuse un engin noir et jaune perdrait ses boues les pneus et bas de caisse perdant leurs boues à mesure que pelleteuse prendrait la route dans un grand vrombissement et dans un signal sonore (…) aigu et intermittent parfaitement audible par n’importe qui (…) la glaise des pneus et bas de caisse adhérant alors à tarmac et formant petits tas continus sur quinze mètres disons quinze mètres s’estompant ensuite à mesure que pelleteuse prendrait la route comme si tarmac s’était soulevé sur quinze mètres disons quinze mètres en raison de chaleur intense ces jours-ci soulevant les routes les tarmacs laissant quelques fois apparaître la terre le dessous de tarmac ce qui grouille au-dessous de tarmac formant alors des monticules continus et rectilignes ou incurvés ou totalement aléatoires courant sur des mètres et des mètres quelques fois quinze mètres puis s’estompant (…) l’ouvrier de pelleteuse négligeant de passer les roues et bas de caisse au tuyau d’arrosage (…) se fichant pas mal de laisser (…) sur tarmac (…) deux traces deux traits {…) parallèles (…) de boue encore épaisse malgré le chaud la chaleur intense de l’air le soleil limpide (…) ou considérant que ceci tout ceci (…) toute cette affaire de traces (…) n’aurait pas d’importance (…) enclenchant alors la première dans un grand vrombissement ébranlant les parois de pelleteuse et les vitres vibrant à peine n’inquiétant ni pelleteuse ni ouvrier poursuivant sa manœuvre (…) sortant de chantier dans un grand vrombissement puis prenant la route (…) laissant alors sans réfléchir deux traces de roues sur une roue remise à neuf récemment mais déjà usée le noir de tarmac s’estompant déjà et virant déjà à gris terne (…) les voitures et camionnettes n’ayant pas encore usé tarmac jusqu’à la corde mais ayant déjà usé tarmac suffisamment usé tarmac pour que tarmac vire à gris terne (…) les traits parallèles quant à eux débouchant de chantier béant demeurant quant à eux probablement sur tarmac terne et gris déjà usé jusqu’à la prochaine pluie qui nettoiera monde vidangera monde etc. (…) le remettant à neuf (…) une nouvelle fois à neuf (…) etc. (…)

A propos de Vincent Tholomé

Auteur performeur, biodégradable, biodégradé, s'enduisant l'été abondamment de crème solaire, multicouche l'hiver, rasant les murs l'automne parce qu'il craint le vent et les tempêtes, heureux comme une plante au printemps. Ses derniers livres ? MON ÉPOPÉE (Lanskine éditions) et QUARANTE JOURS DANS LA VIE DE ROCCO MCCALL (Maelström Réévolutions). Travaille actuellement à TERRES RARES, le livret d'un opéra qui, croisons les doigts, verra le jour en avril 2022. Un site ? http://uranium.be/monepopee/ consacré au livre éponyme et réalisé avec Gauthier Keyaerts, comparse dans le duo sono-verbal VTGK. Voilà. C'est tout pour aujourd'hui.

11 commentaires à propos de “TARMAC”

    • oui : comme je dis dans mon commentaire au commentaire de Danièle, ci-dessous : bonnes sensations à répondre à cette proposition de l’ami François : c’est une belle façon de nous poser dans le monde qu’il nous a offert là, je trouve… et content, donc, qu’il y ait au moins un lecteur (toi) qui me renvoie ce truc d’affinité avec la description, d’affinité avec le « n’importe quoi dans le monde » ! bref : hâte de te lire, toi ! (quant à ta collection de parpaings : waw waw waw ! ça c’est de la langue poussée ! merci !)

    • irai prendre une photo de ces traces là, tout à l’heure, avant que la pluie n’emporte tout à l’égout ! il y a quelque chose d’étrange, en tout cas, qui se passe en soi, quand on décrit, tente de décrire, en mots, phrases, fragments, ce qui serait si simple de prendre en photos ! étrange impression d’être autrement au monde en décrivant ces choses totalement insignifiantes (soit disant insignifiantes) de façon mine de rien affective… ça m’a plu, moi, en tout cas, de tenter de décrire ce bout de monde avec affinité…

      • Décrire et prendre une photo, n’est-ce pas la même chose ? Choisir la focale et cadrer (ni trop près, ni trop loin, résister à l’envie de tout montrer), régler l’ouverture pour avoir la bonne profondeur de champ (ce qu’on laisse dans le flou) et la vitesse (car on décrit aussi des objets animés) et la sensibilité (veut-on produire une affiche ou un leporello ?)…et souvent découvrir encore plus de choses sur une photo prise à la volée mais miraculeusement réussie et poursuivre l’enquête (Blow up)

      • moi, je me dis : les « outils » qu’on utilise pour écrire influent toujours sur le texte. on décide de « décrire » un objet. on peut utiliser divers outils, divers protocoles. on peut aller sur le terrain et décrire l’objet depuis le terrain. on peut le prendre en photo et décrire, ensuite, l’objet depuis la photo. on peut aussi le décrire de mémoire. c’est trois « outils » de départ et rien que parce que ces outils sont différents, les textes écrits seront très différents, nous pousseront vers tel ou tel détail, vers tel ou tel phrasé. ça me fascine vraiment cette superbe influence des outils.

      • justement, les utiliser tous en même temps au service du même texte, enrichit beaucoup le texte et évite la lassitude du lecteur face aux descriptions. En fait voilà, ma vraie problématique est « comment faire une description que le lecteur ne saute pas ? »

      • hello Danièle… pour répondre à votre commentaire sur la description : perso, ce que j’essaie de faire c’est d’intégrer les descriptions dans « l’action » et « les dialogues » dans les descriptions et « actions », etc… bref : j’essaie de créer des textures de mots, des textures de phrases, des textures sonores où tout se renvoie la balle : « l’action » ayant un écho dans la description, la description ayant un écho dans « les dialogues », etc… bref : j’adore brouiller les pistes !… alors : pas sûr que ça marche (dans le sens où ça permettrait aux lectrices lecteurs de ne pas se lasser) mais grande joie, ici, à faire cela !

    • ta petite phrase me renvoie bigrement à moi-même, Fil ! me rends compte en la lisant que j’adore décrire, épuiser (un peu) le réel en le décrivant, épuiser une scène en la décrivant. dans le fond, ouais, j’ai une très grande affection pour la description, je pense ! haha ! dans le fond, je ne sais pas écrire mais j’adore décrire ! haha ! hâte de lire ton accointance à toi, moi !

  1. J’ai aimé ce texte, en ai pris de la graine et cet échange sur la description, très instructif, moi qui n’aime pas trop décrire mais plutôt suggérer, un regard trop balayeur peut-être, que j’essaie de corriger par la pratique de la photo !
    Bon, maintenant , il faut que je me mette au travail !