Sur le comptoir en acier brossé. À côté de la tasse de café noir, déjà bu. J’ai ouvert le Moleskine aux pages ivoire lignées de bleu. Mon jardin circulaire, ma chapelle, mon atelier jaloux.
Derrière le bar, celui qui doit être le propriétaire termine un Crottin de Chavignol sur une tartine grillée. À l’autre bout, une femme épaisse – mauvaise humeur dans un tailleur cintré – se plaint de jambes douloureuses. Je souligne, rature, insère, produis peu. Écrire est un plaisir récent, difficile.
Un client s’approche, fort accent anglo-saxon. Le garçon, en bras de chemise, une serviette par-dessus son épaule, plonge avec lui dans la carte des consommations.
— Une brune ? C’est qu’on est en pénurie de brune…
Sur talons aiguilles, dans un petit débardeur noir, c’est une brune pour- tant qui trottine à travers la salle, un bouquet d’étincelles au bout des doigts. Elle rejoint, derrière le comptoir, celle qui essuie des verres et qui joue les surprises. Le patron quitte mollement son tabouret, sort d’une vitrine réfrigérée un gâteau au chocolat largement entamé.
On s’embrasse tandis qu’Ella Fitzgerald fredonne un vieil air.