… comment inventer un espace ? Un lieu, jardin, grotte, prairie, comment se le faire soi ? En apportant une table, une grande table. La table, solide, de quatre pieds, pas de menteries : stable. Table pour écrire, poser des livres, une bouteille, faire table de travail en somme, mettre le couvert, aquareller un moment, déposer les courses, dans un minuscule vase, disposer des fleurs des rues, du cimetière -j’ai osé voler les morts un jour, prélevé un brin sur le muret qui longe, je suis sûre qu’ils ne m’en veulent pas- regarder le monde à travers les verres et photographier. Soit donc un plateau et des pieds arrimés à angle droit, -une fente, un glissé de pointe de bois passé dans l’encoche, des équerres renforcées de clous- une table par exemple ronde, mal commode pour les ventres rebondis, tour de la table qui fait le tour des ventres, s’écarter nécessaire, mais pour écrire pas gênant : bras coulés, coudes flottants, avant-bras étendus en quasi angle droit, main-écriture en prolongement, et ça griffonne, ça court. Et pour ça donc, une table : des pieds et un plateau. – Rien à voir avec les femmes plateaux, idée incongrue qui s’est frayé passage, et dérangeante : comment écrire sur le plateau de ses lèvres ? Je m’égare. De la table, on voit dépasser les dossiers vides des absents. Par périodes, vient le besoin de se réunir autour de plats, d’écrire en commun, de parler ensemble. Mon esprit court : mais pourquoi obligés, les pieds ? par terre, la stabilité aussi bien ! Le sol est alors la table, on vit sur une table géante -quand on cesse d’y marcher. Délimiter peut-être ? Un tapis de table pour préciser le lieu et le poser, éphémère, transportable, effaçable. A cela deux objections : pour écrire, la table à pieds reste préférable, et voyageuse, de même, elle l’est ! Extensible, étrécissable, on la transporte le matin dans une pièce à l’Est, pour peindre, forte lumière, et elle suit ainsi le soleil tout le jour. Il suffit de savoir faire tourner les tables ? Non ! De se mettre à table et d’écrire.