Si je pars, c’est avec lui, l’oreiller. Besoin de rien envie de toi. L’oreiller sous le bras. Après tout, il se transporte, l’oreiller. Un je c’est encombrant. Ce je-là, on lui avait dit, quelques années plus tard, qu’il avait pris trop de place, pourtant il tentait de se recroqueviller dans un coin du bus, sur un oreiller. Corps qui fait mal, tout ne rentre pas sur l’oreiller. Il respire, il transpire, il se meut un peu trop. Vouloir le compresser comme elle avait compressé l’oreiller, pour qu’il rentre dans un sac, avant le départ. Un je, est-ce que cela rentre dans un sac ? Un sac à bandoulière, c’est mieux, cela n’occupe qu’une épaule, c’est plus chic. Cela peut aussi passer d’un coté à l’autre, diagonale qui maintient, qui rature, qui barre le corps…. Le fourrer dedans, au milieu des carnets inachevés, des rouges à lèvres usés, des livres écornés, des pièces qui ne valent rien , des mouchoirs bien usés, des tickets jamais relus, des crayons sans bouchons, des bouchons sans crayons. Il pleurerait, le sale gosse, perdu dans ce merdier, ce serait bien fait pour lui, le sale Je, qui ne cesse de parler. Ta gueule! Appel au secours, on ne l’entendra plus, on marchera avec lui, dans un sac à bandoulière. Bandoulier, bidouiller, bandouiller. Modalités des je pas très nets, il faut les faire taire ces êtres à demi. On veut du contour bien net, cerner les êtres, dégager les demi-mesures. Silence !
Ce jour-là, le je se compressait sur l’oreiller, dans un bus. Chercher la plume qui devait dépasser de l’oreiller. Elle peut sauver la plume, étirer des possibles, en jouer, tout éclater. Oui, il est en plume l’oreiller, parfois une d’elle en sort, cela fait mal. Ce jour-là, même pas mal, pas de plume, à sec, encre invisible, ça dit ta gueule ! Il y avait trop de divisions dans ce tout, plus la peine de croire à l’unité du point de vue, de la pensée, du sentiment, de la sexualité, du goût, du dégoût surtout, rien ne peut rentrer tout à fait dans un sujet, cela déborde toujours. Il faut rattraper, fourrer dans des sacs, pour que ça se taise, que cela fasse chic, un moi bien poli, bien dressé, comme le IL. Bien droit lui. Parfois la croûte explose et le moi intérieur, il montre enfin sa face. C’est Bergson qui le dit, texte aimé, situation attendue, parfois vécue, merci Henri. Ce jour-là, il explose du dedans, il a cette envie d’en crier un bon de ta gueule !, contre le brouhaha intempestif des prépubères excités du fond du bus, mais il est aussi inquiété par cette envie de dormir, sans penser à rien, et voilà que s’ajoute une couche imprévue, cette envie d’un elle ou d’un il, on ne savait pas, c’est ce qui était bien, il ou elle, là, devant. Devant et derrière, avec ou sans plume, écrire ou ne pas écrire, le je….tu, il , nous …. il essayait de sortir la tête du sac imaginaire dans lequel il avait été mis- ou bien il s’y était mis tout seul ce con, on ne savait plus bien. Ni où il était, ni qui, ni comment. La plume, elle est sortie à l’arrivée, elle avait fait mal, elle l’avait réveillé. Il ou elle avait pris son sac. Cela voyagea. Dans le sac, tout avait explosé, il y en avait de partout, difficile de savoir s’il avait survécu. Gueule explosée, sûrement. Ta gueule , le je.
je me distrait de l’éthique de la psychanalyse en lisant cet excellent texte où l’on rentre facile avec toutes les images transportées au rythme de la vie bus et de l’approche d’un je oreiller débordant belle plume merci pour ce bon moment …
Oui c’est un beau texte, avec un jeu très réussi sur la guerre entre les pronoms… Et lus globalement des relations riches entre sons et sens. Merci !
Merci Cat Lesaffre et Jean Poussin pour vos lectures de ce je ..de ce jeu …
Bien les commentaires précédents. N’ecrirais pas mieux. J’aime la métaphore de l’oreiller et tout le reste. Merci
Anne Dejardin, merc ! Le je, l’oreiller et tout le reste sont touchés de ces lectures enthousiastes …
Des gesticulations pour ratatiner l’oreiller à la percée finale (de l’intérieur, n’est-ce pas) quelle lecture réjouissante ! La vitalité de votre ton m’embarque. Merci Marie-Caroline Delannoy (j’espère tout de même que l’oreiller n’a pas trop souffert, j’ai un faible pour ce « sale gosse »)
Merci Dénéb Kypros pour cette lecture enthousiaste!Oui, il est toujours vivant, un oreiller cela a de la ressource!
Ah l’oreiller à l’oreille, attentif ! Un texte réjouissant pour une lutte finale, ou pas. Le voilà ce maudit sac à ou en bandoulière, bien trouvé pour cet entre il-et-Je combattif. Beaucoup d’échos à vous lire.