Je suis née au forceps. Je suis née ferrée, tirée, extirpée, dégagée.
J’ai biberonné, me suis accrochée aux barreaux, me suis redressée, j’ai poussé j’ai marché j’ai grandi, sur le palier. J’ai porté des seaux, remué des graviers, pelleté du sable, organisé des flaques et commencé des barrages. J’ai balisé des courses d’insectes et tenté de dessiner des coquilles. J’ai colorié, j’ai relié des ensembles et cherché des sorties, j’ai comparé des images et collectionné des bons points. J’ai fait pipi par terre, j’ai joué à la corde, j’ai jonglé en l’air, j’ai jonglé sur les murs, j’ai couru, sauté, dessiné des marelles, j’ai été docile, j’ai obéi, j’ai fait la gueule, balancé des perles et fait des baluchons. J’ai manifesté, j’ai médité. J’ai appartenu à des familles que la mienne ne savait point. J’ai écrasé des scorpions j’ai libéré des araignées.
J’ai bêché, planté, sarclé, arrosé, me suis lassée. J’ai bouturé, j’ai rempoté. Je n’ai pas maudit j’ai fait des efforts. Je me suis efforcée. J’ai aimé les crayons, j’ai encore collectionné. J’ai aimé leur odeur, j’ai aimé leurs couleurs, j’ai aimé classer les couleurs. J’ai aimé les tailler et tracer à la pointe. J’ai rangé dans des boîtes habillé des poupées tapissé des madones et fait des colliers. J’ai dérouillé, je me suis extirpée, j’ai rêvé de fuir, j’ai fui, j’ai perdu, j’ai changé d’identité, j’ai repris du poil, je suis revenue, puis repartie, puis revenue.
J’ai désiré les écrits, je me suis gobergée d’étiquettes, j’ai saisi chaque mot qui traînait, j’ai exploré des pages, j’ai sauté des pages. J’ai pédalé, j’ai nagé, j’ai conduit des deux roues, j’ai conduit des quatre roues, les tricycles c’est pas sûr. J’ai marché le soir, j’ai tendu le pouce, j’ai fermé mes bras à quiconque, j’ai dansé en rose, j’ai dansé en noir. J’ai fait les pointes et j’ai perdu les pointes.
J’ai étouffé j’ai respiré j’ai travaillé j’ai étouffé j’ai épousé j’ai étouffé j’ai tranché j’ai respiré j’ai encore épousé j’ai encore étouffé j’ai mis au monde j’ai respiré.
J’ai séduit à volonté, je n’ai jamais craché, j’ai fumé, j’ai absorbé des buvards, j’ai partagé, j’ai embrassé. J’ai aimé les décibels, j’ai partagé. J’ai transmis par amour, ou par amour de transmettre, et ça ne s’est jamais arrêté. J’ai chanté, j’ai fait des dictées de notes, j’ai appris toutes mes clés, j’ai dirigé, j’ai fait chanter, j’ai fait danser, j’ai fait écrire. J’ai aimé le labeur. J’ai du laboratoire. J’ai du chaos. J’ai du possible, je suis rassurée.
Je n’ai pas dormi.
J’ai bavardé, j’ai réfléchi, je me suis tue, j’ai écouté. Je me suis gavée de chœurs de grillons, d’alpages et de symphonies. J’ai fait des gammes et des vocalises, des marches harmoniques et des chantiers. Je n’ai pas escaladé, ni vendu mon corps, ni sauté à l’élastique : j’ai le sens du vertigineux. J’ai appris les signifiés. J’ai appris « foncer dans le mur », j’ai appris « chercher de l’eau et fendre son bois ».
J’ai tâché de m’y retrouver.
Un Je qui se dit avec un souffle, un rythme dans lesquels je me suis glissée avec beaucoup de plaisir !
Merci à vous.
J’ai bien entendu les percussions des verbes 🙂
Merci à vous deux. Pas facile quand même de faire disparaître les je sous les verbes!