La maison n’en peut plus. Une lourde masse, trimballée par une grue, va bientôt passer, lui raser la tête, faire voler ses dernières vitres en éclats, fouiller son ciment jusqu’à l’os, lui décoller la chair des poutres. Son destin d’invisible, de semblable à ses voisines, de droite, de gauche, d’en face et de plus loin, son destin d’oubliée dans les profondeurs des gravats qu’elle deviendra a pourtant été suspendu. Sur sa façade, devenue grise à force d’essayer de rester blanche – elle semble avoir été repeinte il y a une éternité-, ça foisonne, ça rampe, ça vole, ça court. Plumes, poils, carapaces, écailles recouvrent la toile de briques. Les persiennes, définitivement closes, abritent poissons et volatiles rigolards.. Sur les tuiles, des ponctuations de peinture. La maison dont j’ignorais l’existence propre et qui n’était qu’une pièce de puzzle formant une image sans attrait, la maison respire et exulte. En sursis, mais heureuse, porteuse d’eau, porteuse de cieux, devenue belle. Un détail différent m’absorbe à chaque passage et je me perds dans la mâchoire d’un crocodile, entre les dents d’un requin à l’air louche, entre les pattes des gosses qui trônent, dans l’arrière train d’un chat, déformé par le relief du châssis de fenêtre sur lequel il est nonchalamment assis.
Bientôt, ici, des logements neufs et homologués, des trouées et une végétalisation du quartier. Le lierre existant, lui, prend de l’avance. Au service de l’œuvre, il déborde du toit, il sort de la gueule du loup, il encadre la face d’un monstre de pacotille, lui fait une tignasse et un cache œil, il suçote le chéneau et s’épanche, au creux d’une oreille féline.
Lucie Aubrac, signature que les gosses ont multipliée dans les plis du ciment- c’est le nom de leur école- semble incongrue. En observant bien pourtant, d’autres mots apparaissent. Écologie, Liberté, Égalité, Fraternité. Avec Lucie et Aubrac ce sont des graffs qui se fondent dans la fresque et qui deviennent une résistance à ciel ouvert, contre le gris et l’uniforme. Des yeux des bêtes fusent des perles de couleurs.
j’aimais déjà et puis il y a la merveilleuse découverte de ces noms mêlés aux autres graphes… la jeunesse peut être espoir
Merci… Oui, la jeunesse… faisons lui confiance!
J’aime beaucoup votre écriture, foisonnante, comme la maison… On en connaîtra le destin pour finir ?
Merci pour ce commentaire. Pour l’instant, la maison est là. Mais je pense qu’elle va devoir bientôt « laisser la place! »
C’est une maison devenue haute en couleur et pleine de vie! Il faudrait la reconstruire à l’identique avec les fresques…