Sur l’île déserte

Lorsqu’elle se retrouva seule sur l’île, lorsqu’elle vit la poupe du bateau s’éloigner, elle ressentit un petit pincement au cœur. Comme quand on voit s’éloigner la voiture d’amis rares ou lorsqu’on quitte une maison de vacances heureuses. Elle décida de marcher pour dissiper cette émotion maussade. Peu de pas suffirent à lui faire sentir qu’elle craignait ce qui pouvait surgir derrière elle ou du côté de la forêt. Des hauteurs de ces grands arbres, elle imagina dégringoler des bêtes menaçantes ou simplement un chien surgir de sous les taillis pour la dévorer. Elle décida de s’asseoir sur la plage et d’y rester.

Elle vérifia que son téléphone et ses batteries de rechange étaient toujours dans son sac à dos. Son reportage Instagram restait son souci principal et elle entreprit de réaliser un panoramique pour situer l’aventure pour ses followers, à hauteur des yeux d’abord, puis en visant l’immensité du ciel qui, soit dit en passant, commençait à se couvrir de nuages. D’où verrait-elle mieux le coucher du soleil ? Elle s’aperçut qu’elle n’avait aucune idée de l’endroit où se situait l’Ouest et qu’elle n’avait pas de carte et encore moins de connexion à Google maps.

Cela commençait mal. Elle entreprit de faire quelques photos des bords de l’eau, des tout petits poissons qui filaient sous la surface, se cachaient sous les pierres en soulevant un peu de boue et de ces longues traînes de plantes aquatiques qui remontaient à l’air libre pour fleurir. Ce n’était pas vraiment exotique et ne donnait pas tellement envie de plonger. En vérifiant ses clichés, c’est surtout son visage qu’elle vit. La contre-plongée ne l’avantageait pas, mais surtout elle s’étonna de voir combien elle avait vieilli, elle qui, regardant sous l’eau, avait cru retrouver ses sensations de pêche enfantine et sa frimousse de gamine ?

Elle fit un selfie souriant de son bon profil pour se redonner du courage. Le soir tombait, elle voyait le soleil disparaître derrière la forêt. Tant pis pour le cliché du coucher de soleil, elle aurait au moins celui du petit matin, même s’il fallait marcher longtemps le long du rivage. S’installer pour la nuit, manger un peu devinrent ses principales préoccupations. Cela lui fit du bien de grignoter les barres de céréales et le chocolat qu’elle avait apporté, mais c’est surtout la bouteille de vin qui la réconforta. Elle n’eut pas le courage d’installer le réchaud pour se cuire une soupe ou réchauffer un bolino.

En s’allongeant, elle fut inquiète de tout ce qui pouvait remonter des profondeurs du sol, insectes et vers, animalcules gluants qui préféraient sûrement la fraîcheur du soir et la lumière de la lune. Petits rongeurs qui courraient sur la grève, oiseaux, couleuvres, rampants de toute sorte dont rien ne la protégerait. Heureusement, elle s’endormit et le houhou des hulottes la berça plus qu’il ne l’effraya.

Elle dormit mal sur le sable humide parsemé de cailloux. Elle aurait tant aimé déjeuner d’un peu de rhum comme Robinson Crusoé. Elle se rabattit sur les amandes et les pruneaux qui lui restaient. Le lever du jour la rassérénait, les chants d’oiseaux, les lueurs dans le ciel et même la senteur de l’eau si fraîche et cette toute petite brume qui flottait au-dessus. Même les sauts des grenouilles ne l’effrayèrent pas, ni le grand héron qui vint se poser à quelque distance. Elle zooma sur lui. Elle aurait aimé être Ulysse, tout sale et tout poilu, pour entendre les cris de frayeur des compagnes de Nausicaa. La peur changeait de camp.Tout était beau comme un matin du monde.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .