J’ai appris un nouveau mot, de ceux qui font rêver, qui m’a d’abord empêchée d’écrire, car il est sur l’eau, loin de mon milieu habituel. Une fois rentrée, j’y réfléchis. Il me fascine, autant que l’objet qu’il désigne. Une voile.
Comment les hommes traversent-ils les eaux ? ça fait rêver, ça fait réfléchir, ça fait peur aussi, ça peut être dramatique. Les moyens techniques ou les moyens de fortune. Une voile tire en pensée le fil de l’histoire de la navigation. Et les images de naufragés.
Le Radeau de la Méduse. A-t-il une voile ? Je vérifie. Oui, une voile carrée. Et puis des tissus agités dans le vent, pour faire signe au bateau du fond de l’horizon, qui passe sans rien voir. Des lambeaux de vêtements aussi, comme au premier plan sur un corps de femme, un tissu transparent, drapé aux extrémités, sexuel à la limite, qui laisse entrevoir la chaire, morte. Celui-ci compose une diagonale qui conduit le regard vers la voile carrée. Avec ça, les rescapés sont mal barrés, pour dire les choses en empruntant à la navigation un autre de ses éléments usité en métaphore courante.
La voile carrée, celle des débuts, des drakkars, des bateaux dans les dessins animés ou jouets d’enfants, apte à ne se gonfler qu’en vents arrière. J’ai appris ça lors d’une visite au Musée de la Marine de Hambourg où se trouve une collection historique et pédagogique de voiles. Des carrées, puis des triangulaires de plus en plus sophistiquées, avec des formes et des matières qui attrapent les vents de côtés, de plus en plus près du vent de face, c’est technique et mathématique, esthétique aussi.
Et la plus belle des voiles, colorée, fine et légère, qui se gonfle éperdument aux vents largués.
*
Hier, j’ai appris un nouveau mot, de ceux qui sonnent bien, qui intriguent et font rêver. D’abord il m’a empêché d’écrire, car c’est un mot sur l’eau, dit et entendu sur l’eau, loin de mon ordinateur. Soit un mot entendu dans des circonstances où je n’écris pas. « On va mettre le spi, on monte le spi, quand est-ce qu’on sort le spi, allez décroche le spi. Mais qu’est-ce que tu fiches ? Tire sur le spi ». Une fois au calme, j’y réfléchis. Le mot me fascine, autant que l’objet qu’il désigne. Une voile.
Mon dictionnaire en ligne dit :
Spinnaker (spinɛkœʀ). Nom masculin. 1878. Mot anglais. Mar. Voile d’avant, légère, très creuse et très grande, utilisée aux allures portantes sur les voiliers modernes. Abrèv. Fam. Spi.
© 2018 Dictionnaires Le Robert – Le Petit Robert de la langue française
Qu’est-ce qui est le plus beau, le mot ou sa chose ? La chose parce qu’elle est belle rend-elle le mot attirant ou est-ce plutôt le mot qui, parce qu’il sonne bien, rend la chose belle ?
Un mot et sa chose. Les mots et leurs choses. Les mots et les choses. Un son, des lettres et un objet qui fait rêver, l’objet typique de la poésie. Ulysse met les voiles, Baudelaire met les voiles, Mallarmé met les voiles, on a tous à un moment donné envie de mettre les voiles.
Un spinnaker, une voile.
Comment les hommes traversent-ils les eaux ? ça fait rêver, ça fait réfléchir, ça fait peur aussi, ça peut être dramatique. Les moyens techniques ou les moyens de fortune. Une voile tire en pensée le fil de l’histoire de la navigation. Quand on navigue techniquement, on pense à tous ceux qui ne le peuvent pas, qui affrontent l’eau sans techniques ni savoirs. Parfois sans même savoir nager.
Une voile, c’est aussi des naufragés.
Le Radeau de la Méduse.
A-t-il une voile ? Je vérifie sur le premier site internet venu.
Oui, il a une voile, carrée. Sur le tableau de Géricault, du moins tel qu’il apparait pixélisé sur l’écran de mon ordinateur, aucun indice ne permet de comprendre comment elle a été fabriquée par les rescapées. Est-ce un vieux drap emporté par une personne avisée ? Un assemblage (mais difficile de faire de la couture sur le radeau) ? Ou une fiction inventée par le peintre pour les besoins non pas du réalisme mais de sa composition ? D’autres éléments tendent à le faire penser. Des tissus agités inutilement dans le vent, pour faire signe au bateau du fond de l’horizon, qui passe sans rien voir. Des lambeaux de vêtements aussi, comme au premier plan sur un corps de femme inerte, un tissu transparent, drapé aux extrémités, tellement sexuel, à la limite, qu’on est convaincu ici d’un artifice pictural. Il forme un voile qui masque tout en laissant entrevoir le corps, pale, mort. Celui-ci compose une diagonale conduisant le regard vers la voile carrée. Il est son pendant textile visuel. Avec ça — une voile carré — les rescapés sont mal barrés, pour résumer la situation en empruntant à la navigation un autre de ses instruments usité en métaphore courante.
La voile carrée, celle du cabotage et des origines, des drakkars, des bateaux de dessins animés ou de jouets d’enfants, apte à ne se gonfler qu’en vents arrière. Je l’ai appris lors d’une visite qui m’avait étrangement, alors qu’à l’époque je ne pratiquais pas la voile, passionnée, au Musée maritime de Hambourg. Il s’y trouve une collection historique et pédagogique de voiles. Sur Tripadvisor, un visiteur a titré son commentaire « Le plus beau musée maritime du monde ». Etant donné que je n’en ai jamais visité d’autres, je ne saurais confirmer. Mais, ce qui est sûr, c’est que la collection de voiles m’avait impressionnée. Des carrées, puis des triangulaires, voile latine, arabe, bermudienne, énumère Wikipédia, de plus en plus sophistiquées, avec des courbes et des matières, en polyester, en carbone, en kevlar, qui attrapent les vents de côtés, et de plus en plus près, au près, face au vent, c’est technique et mathématique, esthétique aussi.
Et, en apothéose, la plus belle des voiles, colorée, fine et légère, qui se gonfle éperdument aux vents largués.
*
Sur quoi j’écris ? Sur ce que je vis, au hasard, dans le désordre, au jour le jour, sans projet ni plan. A l’envie. Quand j’aime quelque chose cela me donne envie. Écrire peut être une déclaration d’amour. Par exemple, hier, j’ai appris un nouveau mot. De ceux qui sonnent bien, intriguent et font rêver. D’abord il m’a empêché d’écrire, car c’est un mot sur l’eau, dit et entendu sur l’eau, loin de mon ordinateur. Soit un mot entendu dans des circonstances où je n’écris pas. Parfois je vis, parfois j’écris, j’alterne. « On va mettre le spi, on monte le spi, quand est-ce qu’on le sort, le spi ? allez, décroche le spi. Mais qu’est-ce que tu fiches ? Tire sur le spi ». Une fois au calme, j’y réfléchis. C’est-à-dire j’écris. Rien de mieux pour réfléchir que d’écrire. Alors ce mot je l’écris en entier. Le correcteur d’orthographe me suggère « spirituel » à la place. Pourquoi pas ? Le mot me fascine, autant que l’objet qu’il désigne. Une voile.
Mon dictionnaire en ligne dit :
Spinnaker (spinɛkœʀ). Nom masculin. 1878. Mot anglais. Mar. Voile d’avant, légère, très creuse et très grande, utilisée aux allures portantes sur les voiliers modernes. Abrèv. Fam. Spi.
Qu’est-ce qui est le plus beau, le mot ou sa chose ? Est-ce la chose qui, parce qu’elle est belle, rend le mot beau ou plutôt le mot qui, parce qu’il sonne bien, rend la chose belle ?
Qu’est-ce qui vaut plus le coup, vivre les choses ou les écrire ? La vie est-elle plus belle dans l’expérience ou dans l’écriture ?
Un mot et sa chose. Les mots et leurs choses. Les mots et les choses. Un son, des lettres et un objet qui fait rêver, l’objet typique de la poésie. Dans les textes, Ulysse met les voiles (« Après avoir quitté Calypso, Ulysse reprend la mer… »), Baudelaire met les voiles(« Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage… »),Mallarmé met les voiles(« La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres… »), on a tous à un moment donné envie de mettre les voiles.
Un spinnaker, une voile.
Comment les hommes traversent-ils les eaux ? ça fait rêver, ça fait réfléchir, ça fait écrire donc, ça fait peur aussi, ça peut être dramatique. Les moyens techniques ou les moyens de fortune. Une voile tire en pensée le fil de l’histoire de la navigation. Quand on navigue techniquement, on pense à tous ceux qui en le peuvent pas, qui affrontent l’eau sans techniques et sans savoirs. Parfois sans même savoir nager.
Une voile, c’est aussi des naufragés.
Le Radeau de la Méduse.
Voilà que je vais me laisser emporter par mon écriture d’historienne de l’art, du moins dans ses prémisses, ses ébauches préparatoires, avant que le texte ne soit formaté par des exigences académiques.
Le Radeau de la Médusea-t-il une voile ? Je vérifie sur le premier site internet venu.
Oui, il a une voile, carrée.
Sur le tableau de Géricault, du moins tel qu’il apparait pixélisé sur l’écran de mon ordinateur, aucun indice ne permet de comprendre comment elle a été fabriquée par les rescapées. Est-ce un vieux drap emporté par une personne bien avisée ? Un assemblage (mais difficile de faire de la couture sur le radeau) ? Ou une fiction inventée par le peintre pour les besoins non pas du réalisme mais de sa composition ? Peindre et écrire, souvent cela doit être pareil. D’autres éléments tendent à faire penser aux nécessités de la composition. Des tissus agités inutilement dans le vent, pour faire signe au bateau du fond de l’horizon, qui passe sans rien voir. Des lambeaux de vêtements aussi, comme au premier plan sur un corps de femme inerte, un tissu transparent, drapé aux extrémités, tellement sexuel, à la limite, qu’on est convaincu là d’un artifice pictural. Il forme un voile qui masque tout en laissant entrevoir le corps, pale, mort. Celui-ci compose une diagonale conduisant le regard vers la voile carrée. Il est son pendant textile visuel.
Mais laissons-là la relecture du tableau pour conclure, sur un ton plus radical :
Avec ça — une voile carré — les rescapés sont mal barrés (pour résumer la situation en empruntant à la navigation un autre de ses instruments usité en métaphore courante).
Souvent dans les textes que j’écris spontanément, au hasard de ce que je vis, c’est-à-dire, les textes non-professionnels, ceux qui ne me sont pas commandés pour des publications ou des revues dont le style le format sont imposés, j’entremêle des bribes qui relèvent d’univers différents, différents comme les différents instants que l’on peut vivre le long d’une journée, avec parfois de grands écarts tels que lire un essai d’Eric de Chassey sur la peinture abstraite puis enchainer avec un match du PSG à la télé. Ces moments, l’écriture peut les rassembler, voire les réconcilier ou révéler leur cohérence cachée, si on parvient à créer par l’écriture la voix qui peut les énoncer ensemble.
Il arrive qu’un fait, une chose ou un mot donne envie de s’y mettre. Voilà un bon point de départ pour écrire.
Spinnaker.
Un mot, la vie, le réel, un tableau et les voiles des bateaux.
Un mot qui donne envie d’écrire dans toutes les directions.
A l’origine, il y a la voile carrée, celle du cabotage en Méditerranée, des drakkars, des bateaux de dessins animés ou de jouets d’enfants, apte à ne se gonfler qu’en vents arrière. Je l’ai appris lors d’une visite qui m’avait étrangement, alors qu’à l’époque je ne pratiquais pas la voile, passionnée, au Musée maritime de Hambourg. Il s’y trouve une collection historique et pédagogique de voiles. Sur Tripadvisor, un visiteur a titré son commentaire « Le plus beau musée maritime du monde ». Etant donné que je n’en ai jamais visité d’autres, je ne saurais confirmer de manière certaine, mais ce qui est sûr, c’est que la collection de voiles m’avait impressionnée. Des carrées, puis des triangulaires, voile latine, arabe, bermudienne énumère Wikipédia — j’adore recopier ces termes précis — de plus en plus sophistiquées, avec des courbes et des matières, en polyester, en carbone, en kevlar — là aussi, ces noms de matière m’enchantent quand je les écris — qui attrapent les vents de côtés et, de plus en plus près, au près — pour être rigoureusement exacte quant au terme de navigation, fascinant, comme d’autres, certains connus sans le savoir, d’autres à découvrir — face au vent, c’est technique et mathématique, esthétique aussi.
Enfin, au paroxysme, il y a ce mot et la plus belle des voiles, colorée, fine et légère, qui se gonfle éperdument aux vents largués.
*
Sur quoi j’écris ? Sur ce que je vis, au jour le jour, sans projet ni plan. A l’envie. Quand j’aime quelque chose. Écrire peut être une déclaration d’amour. Par exemple, hier, j’ai appris un nouveau mot, de ceux qui sonnent bien. D’abord il m’a empêché d’écrire, car c’est un mot sur l’eau. Soit un mot entendu dans des circonstances où je n’écris pas. Parfois je vis, parfois j’écris. « Allez, on monte le spi. Mais qu’est-ce que tu fiches ? Tire sur le spi ». Une fois au calme, j’y réfléchis. Rien de mieux pour réfléchir que d’écrire. Alors ce mot je l’écris en entier. Le correcteur d’orthographe me suggère « spirituel » à la place. Le mot me fascine, autant que l’objet qu’il désigne.
Mon dictionnaire en ligne dit :
Spinnaker (spinɛkœʀ). Nom masculin. 1878. Mot anglais. Mar. Voile d’avant, légère, très creuse et très grande, utilisée aux allures portantes vue les voiliers modernes. Abrèv. Fam. Spi.
Est-ce la chose qui, parce qu’elle est belle, rend le mot beau ou est-ce plutôt le mot qui, parce qu’il sonne bien, rend la chose belle ?
Un mot et sa chose. Un son, des lettres et un objet typique de la poésie. Ulysse met les voiles, Baudelaire met les voiles,Mallarmé met les voiles,on a tous envie de mettre les voiles.
Un spinnaker, une voile.
Comment les hommes traversent-ils les eaux ? Les moyens techniques ou les moyens de fortune. Quand on navigue techniquement, on pense à tous ceux qui ne le peuvent pas, qui affrontent l’eau sans même savoir nager.
Une voile, c’est aussi des naufragés.
Le Radeau de la Méduse.
Voilà que je me laisse emporter par mon écriture d’historienne de l’art.
Le Radeau de la Médusea-t-il une voile ? Je vérifie sur le premier site internet venu.
Oui, il a une voile, carrée.
Sur le tableau, du moins tel qu’il apparait pixélisé sur l’écran de mon ordinateur, aucun indice ne permet de comprendre comment elle a été fabriquée. Est-ce une fiction inventée par le peintre pour les besoins non pas du réalisme mais de sa composition ?
D’autres éléments tendent à le faire penser. Des tissus agités dans le vent, pour faire signe au bateau du fond de l’horizon. Des lambeaux de vêtements, comme au premier plan sur un corps de femme inerte, un tissu transparent, drapé aux extrémités, sexuel, à la limite. Il forme une diagonale qui conduit le regard vers la voile carrée.
Mais laissons-là la relecture du tableau pour conclure :
Avec ça — une voile carré — les rescapés sont mal barrés (pour résumer la situation en empruntant à la navigation un autre de ses instruments).
Dans les textes que j’écris spontanément, au hasard de ce que je vis, j’entremêle des bribes qui relèvent d’univers différents, différents comme les différents instants que l’on peut vivre le long d’une journée, tels que lire un essai sur la peinture abstraite puis enchainer avec un match du PSG à la télé.
Il arrive qu’un fait, une chose ou un mot parviennent à cristalliser ce type d’univers très différents.
Spinnaker. Un mot qui donne envie d’écrire dans toutes les directions.
A l’origine, il y a la voile carrée, celle du cabotage en Méditerranée, des drakkars, des bateaux de dessins animés ou de jouets d’enfants, apte à ne se gonfler qu’en vents arrière. Je l’ai appris lors d’une visite qui m’avait passionnée au Musée maritime de Hambourg. Sur Tripadvisor, un visiteur a titré son commentaire « Le plus beau musée maritime du monde ». Je ne saurais confirmer de manière certaine, mais ce qui est sûr, c’est que la collection de voiles m’avait impressionnée. Des carrées, puis des triangulaires, voile latine, arabe, bermudienne énumère Wikipédia — j’adore recopier ces termes précis — de plus en plus sophistiquées, avec des courbes et des matières, en polyester, en carbone, en kevlar — là aussi, ces noms de matière m’enchantent — qui attrapent les vents de côtés, au près — pour être exacte quant au terme de navigation — face au vent, c’est technique et mathématique, esthétique aussi.
En apothéose, la plus belle des voiles, colorée, fine et légère, se gonfle éperdument aux vents.
*
Sur quoi j’écris ? Sur ce que je vis, au jour le jour, sans projet ni plan. A l’envie. Quand j’aime quelque chose. Écrire peut être une déclaration d’amour. Par exemple, hier, j’ai appris un nouveau mot. De ceux qui sonnent bien, intriguent. D’abord il m’a empêché d’écrire, car c’est un mot sur l’eau, loin de mon ordinateur. Soit un mot entendu dans des circonstances où je n’écris pas. Parfois je vis, parfois j’écris, j’alterne. « Allez, on monte le spi. Mais qu’est-ce que tu fiches ? Tire sur le spi ». Une fois au calme, j’y réfléchis. Rien de mieux pour réfléchir que d’écrire. Alors ce mot je l’écris en entier. Le correcteur d’orthographe me suggère « spirituel » à la place. Le mot me fascine, autant que l’objet qu’il désigne.
Mon dictionnaire en ligne indique :
Spinnaker (spinɛkœʀ). Nom masculin. 1878. Mot anglais. Mar. Voile d’avant, légère, très creuse et très grande, utilisée aux allures portantes sur les voiliers modernes. Abrèv. Fam. Spi.
Qu’est-ce qui est le plus beau, le mot ou sa chose ? La chose, parce qu’elle est belle, rend-elle le mot beau ou est-ce plutôt le mot qui, parce qu’il sonne bien, rend la chose belle ?
Qu’est-ce qui vaut plus le coup, vivre les choses ou les écrire ? La vie est-elle plus belle dans l’expérience ou dans l’écriture ?
Un mot et sa chose. Un son, des lettres et un objet typique de la poésie. Ulysse met les voiles, Baudelaire met les voiles,Rimbaud met les voiles, Mallarmé met les voiles,Artaud met les voiles, on a tous envie à un moment donné de mettre les voiles.
Un spinnaker, une voile.
Comment les hommes traversent-ils les eaux ? Les moyens techniques ou les moyens de fortune. Quand on navigue techniquement, on pense à tous ceux qui ne le peuvent pas, qui affrontent l’eau sans même savoir nager.
Une voile, c’est aussi des naufragés.
Le Radeau de la Méduse.
Voilà que je vais me laisser emporter par mon écriture d’historienne de l’art, du moins dans ses prémisses.
Le Radeau de la Médusea-t-il une voile ? Je vérifie sur le premier site internet venu.
Oui, une voile carrée.
Sur le tableau tel qu’il apparait pixélisé sur l’écran de mon ordinateur, aucun indice ne permet de comprendre comment elle a été fabriquée. Est-ce une fiction inventée par le peintre pour les besoins non pas du réalisme mais de sa composition ? Peindre et écrire, souvent les deux doivent se ressembler. D’autres éléments tendent à faire penser aux nécessités de la composition. Des tissus agités dans le vent, pour faire signe au bateau du fond de l’horizon. Des lambeaux de vêtements, comme au premier plan sur un corps de femme inerte, un tissu transparent, drapé aux extrémités, sexuel, à la limite. Il forme une diagonale conduisant le regard vers la voile carrée.
Mais laissons-là la relecture du tableau, pour conclure sur un ton plus radical :
Avec ça — une voile carré — les rescapés sont mal barrés (pour résumer la situation en empruntant à la navigation un autre de ses instruments).
Souvent dans les textes que j’écris spontanément, au hasard de ce que je vis, c’est-à-dire les textes non-professionnels, ceux qui ne me sont pas commandés pour des publications ou des revues dont le style et le format sont imposés, j’entremêle des bribes qui relèvent d’univers différents, différents comme les différents instants que l’on peut vivre le long d’une journée, avec parfois de grands écarts tels que lire un essai d’Eric de Chassey sur la peinture abstraite puis enchainer avec un match du PSG à la télé. Ces moments, l’écriture peut les rassembler, voire les réconcilier ou révéler leur cohérence cachée, si on parvient à créer par l’écriture la voix à même de les énoncer ensemble.
Spinnaker. Un mot qui donne envie de s’y mettre.
A l’origine, il y a la voile carrée, celle du cabotage en Méditerranée, des drakkars, des bateaux de dessins animés ou de jouets d’enfants, apte à ne se gonfler qu’en vents arrière. Je l’ai appris lors d’une visite qui m’avait passionnée au Musée maritime de Hambourg. Sur Tripadvisor, un visiteur a titré son commentaire « Le plus beau musée maritime du monde ». N’en ayant pas visité d’autres, je ne saurais confirmer de manière certaine, mais ce qui est sûr, c’est que la collection de voiles m’avait impressionnée. Des carrées, puis des triangulaires, voile latine, arabe, bermudienne énumère Wikipédia, de plus en plus sophistiquées, avec des courbes et des matières, en polyester, en carbone, en kevlar qui attrapent les vents de côtés, au près — pour être exacte quant au terme de navigation — face au vent, c’est technique et mathématique, esthétique aussi.
En apothéose, la plus belle des voiles, colorée, fine et légère, se gonfle aux vents.