#boost #00 | Son bout du monde

La rivière parait infranchissable. Elle est haute, l’eau est froide. Le chemin s’y termine. Il s’y jette. L’été l’eau est si basse qu’on peut traverser sans se mouiller, en sautant de pierre en pierre. Mais là, la rivière clôt le monde. Elle est pour l’enfant une frontière qui l’enferme sur sa peur. De l’autre côté, il y a un bois, puis une colline, puis une plaine qu’on appelle la plaine et au-delà? Rien de connu pour l’enfant apeuré d’une peur effarante. Il se retourne, derrière lui le chemin au bout duquel la maison. Il revient sur ses pas, à droite un pré cerclé de barbelés, à gauche, le clos et la réserve à bois. C’est là qu’il va. Il cherche des bâtons qu’on pose là, parfois, après avoir guidé les vaches. Il en trouve deux, du noisetier, durs et droits. Il revient à la rivière. Il reste un moment à regarder de l’autre côté le bois aux pins tordus, ce bois où il a souvent eu la frousse en se promenant avec son frère en se racontant des histoires de morts, de prisonniers ou de trous où avaient été jetés des cadavres. Aujourd’hui, c’est une autre peur qui le pénètre et le tord, si fortement qu’il entre dans l’eau qui entre dans ses bottes. Le froid le saisit mais il avance, les bâtons lui servent de cannes. Il a de l’eau jusqu’aux genoux, jusqu’aux cuisses, jusqu’au ventre. Il se bat contre le courant. Il a envie de pleurer. Il parvient de l’autre côté, trempé. Il entre dans le bois, s’assied sur le tronc d’un arbre abattu par une crue, vide l’eau de ses bottes, essore le bas de son pull et de son manteau. Il tremble, il repart en s’appuyant sur ses bâtons, s’enfonce dans le bois. Il ne reviendra plus en arrière.

Il y a une rivière, donc, puis un bois. Dans le bois il n’y a pas de chemin sitôt que l’on quitte la piste tracée par le tracteur. Mais c’est là qu’il faut aller, là où il n’y a rien, se repérer à la colline, marcher tant que ça monte pour arriver à la plaine. Dès qu’on est au sommet, l’horizon s’ouvre. Au loin (mais vraiment loin), des montagnes. Ce serait là le bout du monde. Il faudrait marcher longtemps. D’abord atteindre le bout de la plaine, boueuse (une boue verte, argileuse, qui colle au botte qui parfois en aspire une, alors il faut rester en équilibre, le pied déchaussé levé, sortir la botte du bourbier, y glisser à nouveau le pied gelé dans la chaussette trempée et repartir). Ce n’est qu’à l’orée du village (qu’il faut éviter) que l’argile disparait pour une boue noire, moins collante puis ce sont les prés où l’été paissent des vaches et des moutons. En laissant le village à droite, son clocher, ses fermes isolées, la route, on entre dans un vallon. Ce n’est pas le plus court chemin pour aller au montagne, mais il évite les habitations. Au bout de la plaine, la montagne paraît moins haute. Elle ne semble plus infranchissable, bien moins que la rivière. Dans un coude, monte un chemin. Le monde continue.

Codicille: c’est parti de l’idée d’une fin du monde perçu face à une frontière, qui finalement est franchie, puis un autre monde, une nouvelle frontière et le monde ainsi qui se traverse sans se finir, à hauteur d’enfant

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