Sols grinçants
La plante du pied bute sur une latte de plancher légèrement soulevée, incurvée, déformée par l’imprégnation de l’eau, celle qu’on a laissé déborder de la baignoire après une nuit d’insomnie, oubliant, dans la chaleur du lit retrouvé, le robinet ouvert et réveillée brutalement par le clapotis de l’eau dans le couloir, une nappe liquide qu’il avait fallu écoper, éponger tandis qu’à la porte un coup de sonnette irrité annonçait que le voisin du dessous avait compris depuis longtemps ce qui m’avait échappé.
Ces tapis superposés couvrent l’ensemble du sol, étouffent le grincement du parquet que l’on suppose ancien, abimé peut-être, peuplant d’arabesques orientales le conformisme et la rigidité de l’appartement haussmannien, créant l’illusion d’une chaleur, d’une douceur feutrée qui éteindrait cris et querelles.
Ca crissait sous les pieds quand on faisait le tour du jardin, empruntant, pour ne pas marcher sur les plates-bandes, les allées rectilignes recouvertes de gravillons, ces petites formes anguleuses de couleur indéfinie qui s’enfonçaient sous les semelles, se glissaient dans les chaussures, mosaïque terne au sol qui contrastait avec l’exubérance interdite des pivoines, dahlias, rosiers buissonnants : enfants, nous marchions à côté de ce jaillissement – surtout ne pas l’écraser !
Les dalles de pierre de l’église résonnaient sous les pas et l’écho nous glaçait de terreur quand il fallait s’avancer en procession vers l’autel, les mains jointes, le regard baissé vers le sol sombre et luisant d’usure, glissant sous les semelles des chaussures vernies toutes neuves, taché de la cire qui coulait de nos cierges de communiantes.