Juste la poudre blanchie et les cailloux incrustés de la cour, la cour d’avant avant que tout ne meure avant que tout se taise et finisse sous l’herbe et que le sol ne porte plus que le souvenir hésitant du chemin des bêtes, chevaux vaches chèvres et menue volaille des femmes oies poules canard, justement les canards et la rigole pierreuse qui dit la pente dans cette évocation de bousculade dans les traces boueuses fangeuses qui creusent et bavent par dessus l’empierrement sans plus d’âge ni peu de raison mais où la rigole dit la pente depuis la pompe jusqu’à l’exutoire là, et toujours les canards dans cette fange jusqu’au fin fond de la cour jusqu’à disparaître sous le sol du hangar, on ne dit pas hangar on ne dit pas remise on dit « Sous le balai », « Va chercher les seaux sous le balai », ne me demandez pas pourquoi on dit « Sous le balai », peut-être à cause de la poussière fine que recrache la terre durcie en surplus de matière sous les roues des charrettes, terre roulée et parfois joyeusement martelée sous les bancs des grands repas de noces qui se tiennent là, se tenaient là, « sous le balai » et les rires envolés comme les paroles des chansons des tantes « Quand refleurira…. » » un pays où fleurit l’oranger… », mais la rigole non, elle dure, au juste elle ne disparaît pas sous le sol là elle perce le retour d’angle du mur et persiste sur toute la longueur de l’abri pour au fond fouailler de nouveau sous la paroi derrière l’amoncellement des outils remisés et finir enfin dans le pré et que l’eau lavée des canards file doux dans le gras de l’herbe.
La rigole a ses sœurs dans l’écurie comme dans l’étable, et dans leurs allées les galets saillants polis parlent encore aux semelles d’un sol rendu minéral tant et tant raclé jour après jour, à en perdre toutes fines de terre et que la paille jetée ramassée avec le jus des bêtes n’y laisse rien paraître. Tels étaient les sols des bêtes. Pour les hommes on avait fait l’effort. Sur la terre de la salle on avait posé et jointé des planches en calepinage incertain où certaines creusaient faisaient le dos rond, cassaient parfois mais toujours leurs jointures laissaient remonter la poudre du dessous qui se mêlait à la boue rapportée de la cour et aux miettes des repas aussi il fallait deux trois fois dans la journée dessiner de larges arabesques d’eau du bout de la coussote pour coller au sol ce qu’on balayait ensuite vigoureusement laissant les dessins volatiles chaque fois différents s’effacer quand l’humide cédait, toujours ce fut ainsi dans la salle pour la famille mais dans le logis des aïeules après l’écurie l’unique pièce avait reçu le gris dur d’un ciment bouchardé, et la question me reste en suspend de savoir si sur cette surface rêche sans surprise autre que les lignes aléatoires des pointillés en creux Berthe dessinait aussi les grandes boucles d’eau et si, le faisant, elle en avait le même plaisir.
Belle rigole sensible de la mémoire.