Qui voit des pieds dans une cuvette d’eau salée, des pieds silencieux, des pieds qui avalent le sel pour se débarrasser de leur scories, de ce rugueux crevassé qui les fait moches, moches et déplaisants, même qu’on en sentirait peut-être le remugle si on se penchait au-dessus, qui donc voit ces pieds aplatis dans l’eau sale de la cuvette verte, légèrement cassée sur le bord, peut entendre la rumeur de tous les sols qu’ils ont foulés.
Le parquet vitrifié se fait chatouiller le dos par la petite voiture de l’enfant qui aime par-dessus tout écouter quand ça sonne creux sur le 7ème carré en partant du milieu de la porte et en allant en diagonale vers la fenêtre, parce que là, ça chante plus joyeux, plus clair, ou peut-être plus étrange, oui, c’est ça, étrange, il y a du vide en-dessous et dans ce vide, on peut y mettre ce qu’on veut.
Le sol est mou, mousse, spongieux, herbes folles et, dans les profondeurs, une ville entière de terriers de lapins, ça s’affaire du côté des petites pattes, on se demande à quoi, peut-être à protester sous le poids des pieds lourds, pendant que là-haut, on est en apesanteur, en flottaison dans le bruit hypnotique du ressac.
Les crottes indiquent la marche à suivre sur le bitume chauffé du trottoir, des crottes de …chien sans doute, qui voulez-vous que ce soit, parce qu’ils n’ont pas une herbe à se mettre sous la patte, et c’est une bonne nouvelle, pour les herbes et pour les arbres bien que, en fait, la nouvelle ne soit pas si bonne car s’il restait des herbes et des arbres, c’est là que les chiens iraient déposer leurs crottes, molles, piteuses, bombées, cylindriques, pitoyables, virevoltantes, énigmatiques, mais ne restent que des coussinets de chat surpris par le goudron frais, et des écritures par-ci par-là, « Fête du vélo », « c’est par ici », « soyez heureux c’est un ordre », sortez du troupeau lisez », eh bien oui, c’est que, à force d’être penché sur nos portables, on ne regarde plus que vers le sol, et que, pour se parler, c’est à la peinture blanche, en suivant le chemin des crottes sur le bitume du trottoir brûlant.
Le sable est bouillant pourtant on y était ce matin et il restait d’une froideur très indifférente, et voilà que désormais, il est si ardent qu’on ne peut s’y avancer que sur la pointe des pieds, car il faut croire qu’entre-temps, les grains se sont frottés les uns aux autres, et que, le soleil au zénith, ils brûlent d’un désir si exclusif que tout marcheur se voit signifier qu’il n’est plus le bienvenu.
Les pieds en tongs sentent la terre rouge, le bakélite du sol africain, parce que c’est par les pieds qu’on le sent celui-là, par les pieds qu’on l’aspire et qu’on le fait remonter dans les artères jusqu’à l’organe de feu.
Ah ! ces pieds sur ces sols ! Il y a des odeurs, des bruits, de la couleur et l’on est dans la cuvette et dans le sable à la fois. Ici donc, nous nous retrouvons, Armelle😉
Magnifique ! On voudrait que chacun de tes sols se développe et se précise. J’aime beaucoup le parquet de l’enfant qui me rappelle le pavé de Proust, et la rumeur de tous les sols sous les pieds… Tu relies les pieds et le coeur, et tu touches « l’organe de feu » de ton lecteur ! Merci Armelle !