Sol vivant

J’aspire la petite botte de l’enfant luttant de toutes ses forces pour ne pas me l’abandonner, je m’élève et redescends dans un clapotis, au rythme des piétinements, c’est un jeu dangereux et excitant près de l’étang, flaque de boue, je retiens prisonnier les petits pieds, les relâche, les reprends, ils s’agitent fébrilement entre peur et jubilation, au risque de se faire avaler complètement, je suis dangereux, sable doux et souple d’une plage anglaise, j’invite à se déchausser pour mieux sentir ma texture granuleuse s’enfoncer sous les pas, provoquant l’ivresse juvénile de marcher pieds nus et la réticence à se rechausser quand je deviens bitume sournois, abritant un morceau de verre qui s’enfonce douloureusement dans la chair tendre, mais je sais aussi être espace de joie pure en devenant tapis de pétales blancs et roses après la pluie dans la tiédeur du printemps de Nouvelle Angleterre, séducteur d’adolescents en folie qui se vautrent et batifolent avec délice sur ma peau de velours exubérante et parfumée, douce compensation pour mes moments durs et rugueux de macadam hostile sur lequel les genoux de l’enfant se sont fracassés, abîmés, tout sanguinolents de s’être approchés trop rapidement de mon implacable dureté par une chute de vélo ou de patins à roulettes et surtout je suis visionnaire, révélateur et prophète quand en s’allongeant après la baignade à Dinard, couchée sur la serviette de plage, elle sent pour la première fois cette nouvelle vie qui palpite en elle, un nouveau cœur qui commence à battre à mon contact, je suis le sol vivant, témoin muet de chaque instant.