Il avait pris l’habitude d’écouter les sols, depuis enfant, quand depuis son lit, il devinait qui était où, son père dans la cuisine, levé pour la troisième fois cette nuit-là, il s’était traîné comme d’habitude, balayant le sol – il ne levait jamais les pieds-, faisant glisser et siffler le sol, sa mère, il ne l’entendait jamais, avec ses frères, il l’appelait le ninja, et ça les faisait beaucoup rire, depuis il se dit que les sols n’ont pas tous le même langage, il s’est d’abord dit, bien entendu que les sols ont un langage, alors ils peuvent parler ? mais non un langage, on le parle pas forcément, les sols font des sons, des poèmes, ils crient parfois, il se rappelait les Indiens, ceux qu’on dessine, ceux dont on raconte les histoires aux enfants blancs, il se les rappelait l’oreille collée au sol, entendant dans le sol, ce qui se passe au-dessus, à plusieurs mètres, kilomètres, un train qui se déroule ou des cavaliers qui risquent de surgir, des troupeaux qui font gronder le sol, le sol il gargouille comme le ventre de papa, c’est les viscères de la Terre qu’on entend, le sol est le calque sur lequel s’impriment les émotions des femmes et des hommes qui le foulent, qui lui donnent une forme, une vibration, une texture, alors en essayant d’écouter le sol, il se sentait plus proche des autres, des femmes, des hommes, leur façon d’être, de penser, la façon qu’ils ont d’alourdir le sol, de le cogner, de le caresser à l’inverse, ou d’essayer d’éviter tout contact, il écoute les sols ; il a grandi maintenant, c’est un homme qui travaille, son bureau est placé face à la fenêtre, il donne du dos à la porte, lorsqu’on vient le voir, il entend d’abord qui vient, de quelle manière on s’approche, et il sait qu’il est l’heure de partir au son que font les sols quand on les quitte.
Bienvenue !
Très beau texte à l’écoute du monde. Merci à vous.
Un grand MERCI !
et même s’il n’entend pas il sent… le sol se met à vivre
oui, il n’est sûrement pas inerte ..
Très belle image du sol « calque sur lequel s’impriment les émotions des femmes et des hommes qui le foulent », on ne les écoute plus par chez nous, les sols…
on a peur qu’ils ne soient pas assez propres peut-être…
Quel plaisir de vous lire à nouveau ! Oui, éviter de retomber dans carrelage, ça a dû être dur, tant ce texte s’impose, prend de la place, réclame sa place. Alors je suis séduite par celui-ci aussi mais je suis une grande fan. Quelle douceur et quel sensualité ! Trop merci
… merci beaucoup, vraiment merci infiniment !
parle à plus d’un ce sol d’annonce et de départ, souverain ce sol dans ma mémoire ici réveillée alors de ça merci
Merci beaucoup, oui… c’est là que tout commence et que tout finit après tout…
Votre Sol va donner le la au mien. J’ai commencé aujourd’hui par le #7 mais vais essayer de rattraper mon retard. Mais je n’arrivais pas à démarrer mon Sol et la lecture de votre texte vient de déclencher quelque chose… je m’y mets…
je suis très heureuse de lire cela ! C’est drôle car dans le titre, j’allais ajouter un « la » puis je me suis abstenue par peur que ça sonne faux… Merci du retour !