– I
– Si tu viens à moi, visage…
– Comment ?
– Comment ça, comment ? Mais à vie, d’un coup enjambant la vie, sautant par-dessus les rides qui se creusent dans ce saut, si tu viens à moi, autant dire quand, autant dire si rarement, quand tu viens à moi, visage, c’est pour me sauter au visage, au mien de visage, alors d’un coup d’un saut je vois ta gueule de cadavre, pas plâtreux, pas cireux non, mais sec, desséché plutôt, féroce, pas cadavre encore non, mais dans l’instant vieux d’avant, du juste avant, avec ta gueule de loin, de ce très loin toujours là, d’un saut depuis l’après me sautant à la figure…
Et si je vais à toi, visage… tu te rétractes, te rétractes, aspiré par ton nez, aspiré jusqu’à n’être plus qu’un point cérébral, sans peaux ni poils, le point de lueur que laissent les yeux juste avant d’être aspirés par les trous de ton nez.
– II
Journal du visage
XX-XX-1XX7
Aujourd’hui je suis tout dans mon front.
XX-XX-1XX5
Je crois que ma tempe droite est plus petite que ma tempe gauche. Comment savoir ?
XX-XX-1XX8
Un nouveau relief ce matin, une aspérité, quelque chose de dur je crois, quelque chose de neuf soudain, au haut de l’aile gauche du nez, un événement qui n’est pas moi.
XX-XX-1XX4
Je ne sais pas si mes deux oreilles sont identiques. Ni même si elles m’appartiennent vraiment.
XX-XX-1XX8
Je sens de l’air dans mes trous.
XX-XX-1XX5
Les cheveux ? Ils me cachent et m’obligent. Je les hais. Paraît qu’ils finissent par tomber. Et que moi aussi.
XX-XX-1XX8
On m’a froissé. J’ai dû faire mes étirements. J’en ai de plus en plus besoin. C’est de plus en plus dur. De plus en plus inutile. Continuer pourtant.
XX-XX-1XX4
Sensation désagréable au réveil. J’ai dû dormir sur une fourmilière.
XX-XX-2XX6
Bizarre. Me suis demandé soudain ce qu’il y avait à l’envers de moi. Puis si j’avais un envers.
XX-XX-2XX7
Dans la journée, tout s’est disloqué, lèvres, joues, pommettes, menton, arcades, mâchoires, chacun parti de son côté. Le soir, me rassembler si je veux me ressembler.
XX-XX-2XX1
Parfois je voudrais me dévisager.
XX-XX-2XX7
Météo capricieuse aujourd’hui, incompréhensible. Une tempête soulève des vagues à ma surface, en tous sens. Puis calme plat. Puis houle à nouveau.
XX-XX-2XX8
Ce matin j’ai perdu mes limites.
ce journal est à envisager sur du long… non?
Oui, j’y ai pensé après coup: la forme suppose en effet prolongements, par d’autres que moi pourquoi pas? J’espère qu’il est clair qu’il ne s’agit pas de moi, de mon journal: j’ai essayé vraiment d’imaginer ce que peut être et penser un visage, en tant que forme concrète et entité abstraite, abstraite d’os, de crâne, de tête, de corps. Dès lors, le journal est purement fictif, d’où les dates en X, inspirées des sites de paiements en ligne par carte bancaire.
Super intéressant cette idée de journal !