Son nez coule l’air est sec pourtant. Clim à fond, les serveurs n’aiment pas l’humidité. Sa gorge racle, ça renâcle, c’est pas seulement l’hiver, mais ce qui reste coincé, au fond de sa gorge, dans la grotte des mots non formés, barrage où ils se glissent bloqués dans les strates de la mémoire inversée dans les marécages derrière les dents qui flottent sur le brouillard le matin, goût café dentifrice relent de fluor. Reflet de son image sa tête des matins d’hiver sous la chape des cheveux rendus électriques par le froid du dehors dans la porte vitrée de la salle 33 S dédiée à la surveillance des cuves de fioul. Pas d’étincelle surtout pas d’étincelle ce serait le bordel et le quartier plié et la voie ferrée pas loin aussi, une catastrophe en puissance dans le bourdonnement du commutateur inversé de la sonde de température. Agression des néons sur les rétines plaques photosensibles encore empreintes des images de la nuit courte entre coupée entre bruits et sommeil entre réveils et clocher de l’église interdit de silence, les sons de la rue avant l’aube et l’heure décente de réveil, encore une descente de flics si ça se trouve – mais ils ne trouvent jamais rien – Negu Gorriak encore dans les oreilles – la main dans la poche aussitôt pour vérifier que les écouteurs s’y trouvent bien, même si c’est interdit dans le data center – Negu Gorriak – mantra qui se répète s’imprime sous la couche pâle du front lisse sous la frange du matin encore en ordre lissée. Ordre le matin, organisation de la journée, parade future des heures éployées dans le cliquetis des cartes magnétiques, entrées et sorties régies réglées… ça lui pèse et l’épaule ploie, d’avance, malgré la gigue des quatre-vingt-seize écrans quatre-vingt-seize caméras de surveillance, contrôle sécurité des litres de fioul par milliers – ô papa Noël ! Sourire gercé sur ses lèvres sèches, l’air est trop sec, c’est l’air que veulent respirer les machines 24 heures sur 24. Odeur indéfinissable de la haute technologie entre abstraction olfactive et chaleur diffuse de composants comme prêts à fondre – fondre les plombs – c’est toujours cela qui lui vient à l’esprit, les plombs, même s’il n’y en a pas – se fondre dans la cuir de ministre du fauteuil à double pivotement malgré l’onde électrique du point douloureux dans le dos en bas, une fraction de seconde où l’on est ramené à son corps comme à une bouée dans l’océan des machines derrière les grilles et les vitrines réfrigérées. Images statiques des écrans de contrôle, rien ne bouge, alors que son estomac gargouille, que sa langue tourne dans sa bouche déjà sèche -air trop sec – air hautement filtré – on n’y respire pas trop bien, envie de café, d’ouvrir une fenêtre, mais la salle est close, sarcophage hautement sécurisé, emprise humaine dévoyée – Negu Gorriak.