Perdue. Sensation familière puisque connue depuis l’enfance, ça vient de loin, ça vient du cœur de l’été quand déjà le soir mange un peu de lumière au jour.
Perdue, pourtant je ne m’en rends pas compte — même si j’ai la vague intuition qu’on va s’inquiéter pour moi —, peu à peu glissant pénétrant m’enfonçant dans le feuillage, rentrant presque dans l’arbre, ça vient de loin, le souvenir du rugueux du tronc et de l’affaiblissement du soleil. Et recommençant plus tard, un autre jour sans doute, une autre saison, n’imaginant rien de la série d’événements qui provoquent la chute des feuilles, à la mise en veille des arbres, plus de chlorophylle, les fluides désertent les canaux des feuilles, la couleur change, pigments rouges et mauves prolongeant leur vie avant la chute.
Épais le tapis sous le châtaignier qui domine la maison bâtie sur le dos de la butte.
Regardant l’arbre alors comme guettant sa respiration, ses fruits tombés ouverts sur la terre gorgée d’eau.
Une autre fois elle revient. L’imagine vu d’en haut si large bientôt nu, ressent l’endroit où il a poussé comme lui appartenant depuis longtemps — il était bien avant elle sur la terre. S’enfoncer dans ses feuilles, s’enfoncer presque dans son ombre brossée de vent doux ou violent, dans ses branches fortes engendrées à son pied créant des cachettes pour jouer avec la brise et les oiseaux. Elle aime s’enfoncer dans le puissant de l’arbre — elle avait oublié
ici elle est le ciel la terre l’arbre, l’automne la fait reine
ici elle joue à s’enfoncer dans l’arbre, ça vient de loin, la couleur change, elle se cache, les feuilles sont fauves dans le soleil
ici la pluie vient fort, elle a six ans ou douze ans, l’arbre est une énigme vivante
ici maintenant revient en force la mémoire des temps anciens qu’elle n’a pas connus mais qu’on lui a racontés le soir au bord du feu, le feu raconte crépite explique ce qui s’est passé jusqu’au carrefour des civilisations, rien ne peut changer à cela, elle s’assoit, prête attention au récit de sa journée entre les branches, la rumeur de pluie et la cendre.
Photographie ©Françoise Renaud, en Limousin, 10/11/2023
ici maintenant revient en force la mémoire des temps anciens qu’elle n’a pas connus mais qu’on lui a racontés le soir au bord du feu, le feu raconte crépite explique ce qui s’est passé jusqu’au carrefour des civilisations, rien ne peut changer à cela, elle s’assoit, prête attention au récit de sa journée entre les branches, la rumeur de pluie et la cendre.
Merci, pour ce très beau texte.
touchée vraiment… à peine écrit, publié, et ton écho
merci Laurent
rencontres avec l’arbre. témoignage important d’une expérience autre, qui n’en passe pas par les mots et qui t’initie physiquement corporellement à la rumeur du temps. le temps d’un écart, d’un moment de perte, d’une perte « familière ».
la présence des arbres au proche de moi ravive des sensations particulières, certaines nouvelles, mais la plupart attachées au temps de l’enfance
j’apprends aussi combien chaque arbre est différent de l’autre de la même espèce, planté quelques mètres plus loin ou de l’autre côté du coteau
merci Véronique…
(très beau, on sent que chaque phrase vient d’un endroit plus profond encore, c’est un beau mouvement : parfois on dit que l’écriture creuse, ici c’est pratiquement le mouvement inverse, elle vient de quelque part « au cœur de », et elle monte, se présente à nous)
je te lis et retrouve bien ce qui s’est passé, c’est « remonté du dedans », comme si en s’enfonçant dans les frondaisons, on réveillait quelque chose de l’intérieur
parfois on ressent fort mais on ne parvient pas forcément à le mettre en mots
(heureuse de ton passage, chère C.)
Traversée du temps avec la présence de l’arbre comme énigme vivante, c’est magnifique. Merci
finalement ce qui nous constitue tout au fond réellement doit être présent en nous depuis longtemps, et parfois l’élan remonte, nous submerge
(merci pour ta fidélité…)
c’est vrai que le mot énigme m’est venu comme un mot magique
cette majesté, cette taille imposante, cette liberté dont les arbres nous parlent…
merci à toi…
« S’enfoncer dans ses feuilles, s’enfoncer presque dans son ombre brossée de vent doux ou violent, dans ses branches fortes engendrées… » c’est un très beau texte merci
oh oui, magnifique texte… dans cet enfoncement la sensation de devenir arbre… Merci Françoise
je n’avais pas forcément mesuré à quel point le texte s’enfonçait jusqu’au cœur !
Bien beau texte F.
S’enfoncer dans les arbres comme dans les entrailles de la terre puis revenir au soleil, à la pluie, au coin du feu.
merci chère H pour te retrouver ici…
et explorer avec moi ces entrailles !
Là aussi, il y a du secret, de la magie révélée, et cette présence, cette puissance de l’arbre, que peut-être on voudrait faire sienne.