Il n’y a pas de rideau à la fenêtre, pas de volets. La lumière bleu aquarium du radio réveil éclaire la chambre. Des rayons jaunes, rouges balayent le plafond chaque fois qu’une voiture passe.
Dans la chambre aux murs nus, le poids de mon corps a tassé le coton du futon posé sur le sol. Une géographie de creux et de bosses.
Les bateaux disposés en quinconce sur le papier peint, des voiliers, ont tous un drapeau rouge au sommet du mat. Sauf un, en face du lit. Drapeau noir. C’est peut-être une erreur de l’imprimeur ou le griffonnage d’un enfant qui a dormi là avant moi. Je pense parfois à une subtilité du motif mais le drapeau noir ne se répéte nulle part.
Les pantoufles du voisin du dessus glissent sans cesse au dessus de mon lit. Je m’enfonçe dans le sommeil par plan successif. Comme si le frottement des semelles effaçait à chaque passage une épaisseur de ma conscience.
Dans le matelas de laine trop vieux, trop mou, mon dos s’affaisse comme dans un hamac mal tendu, la cambrure de mes lombaires s’inverse, j’ai mal.
J’entre comme dans une fosse dans la chambre étroite, haute de plafond. Je plie sur le parquet sombre une couverture de laine grise et m’assieds contre la fonte brûlante du radiateur. Les arêtes s’incrustent dans mon dos, je cale l’arrière de mon crâne dans une rainure, j’attends le léger étourdissement du sang monté à la tête pour rejoindre le lit.
Un œil me surveille au plafond. Une cloque. Dans le noir de la nuit, elle gonfle, s’écarquille comme le diaphragme de l’appareil photo quand il veut avaler la lumière.
J’étouffe dans la chambre sans fenêtre, le moteur de climatisation grince sans générer la moindre fraîcheur, des gouttes d’eau perlent sur les murs, j’allume le ventilateur, l’air brassé par ses ailes donnent l’impression qu’il est possible de respirer encore.
Au dessus de la porte, la veilleuse verte de secours. Mon lit est le troisième à gauche à partir de cette lueur.
Sur l’affiche rouge et noire de Bilal punaisée au mur, le sein pointu de Juliette, la main de Roméo posé sur sa hanche.
Très beau texte tout en sons et lumières.
Très réussi.
Mes endormissements préférés : les bateaux, les pantoufles, l’œil…
Aline, j’aime beaucoup les pantoufles du voisin du dessus et l’oeil du plafond.
L’angoisse perle comme les gouttes d’eau sur les murs. Je pense aux films des frères Coen…