A la sécurité sociale. Bip bip .On va à la sécurité sociale ! Mets tes gants, ton bonnet, ton écharpe, il fait froid dehors. Il fait froid, à la sécurité sociale. Le roussi, ici, ca sent aussi. Des papiers à remplir. Des cases à cocher. Des croix à faire. La croix et la bannière. Prenez un ticket, attendez dans le couloir. On obéit à la sécurité sociale. On attend sur des sièges bien alignés, des lignées, les uns à côté des autres, délimités, limités. Dans des cases, des cercles bien carré, Des cercles vicieux, infernaux. Infernal !
Des cases en formes, géométriques, tracés à la règle, au compas, à l’équerre. Assuré social. Un labyrinthe, les papiers à remplir. On n’a pas pensé à ramener un stylo pour écrire des chiffres et des lettres. Ne pas louper le coche, on repart à zéro. Des stylos enchainés à leur socle, des stylos en laisse. Des chaînes pour les tenir en place. Pauvres stylos, ils sont réduits à cocher des cases et à faire des signes de croix. Condamnés, ils sont. Ça peut durer longtemps cette histoire à la sécurité sociale. On attend. Ils attendent. J’attends. Chacun dans son cagibi. Parfois un homme ou une femme sort de la sienne. Parfois cet homme c’est papa. Il sort de sa cage Il fait les cent pas à la sécurité sociale. Il est nerveux avec tout ce qui est social. Il a peur. Ça lui rappelle des mauvais souvenirs, les assistantes sociales. Y’a une grande boîte, devant, à l’entrée, à la porte, c’est comme une bouche, une bouche de métro, une bouche avaleuse, on y fourre son enveloppe comme dans un bureau de vote. A voter. Papa. Pas maman. A l’abri, des regards et des gens.
De la patience, Il faut ici. Tout le monde attend que son chiffre sonne pour entrer dans son sas, pour avoir son tampon, son papier, son papier tamponné. Son statut. Ses indemnités journalières. Etre validé et repartir. Invalide. C’est étrange cette façon de répéter en insistant sur chaque syllabe, d’appuyer sur les sons, de décomposer, multiplier les cons sonnants. C’est étrange, oui c’est étrange, et ça déforme les visages, ça enlaidit. Plusieurs fois, elle répète. Quand elle parle elle ouvre sa bouche, grande, on voit ses dents grises et bien alignées. Sa langue fait des mouvements bizarres, comme le tic-tac de la pendule, pour bien se faire comprendre. Compte à rebours, bip bip, comme la langue d’un serpent, rouge de colère, prête à cracher son venin. Elle pense qu’on ne comprend pas ce qu’elle dit. Elle dit ce qu’elle ne comprend pas qu’elle pense. C’est le coucou qui rentre et qui sort dans l’horloge. Coup sur coup. Elle articule, elle exagère, elle rend les mots gros et gras comme on en voit faire, certains et certaines, avec les tout petits enfants, très jeunes et très vieux aussi. Et Les invalides. Bip bip. Je fais la sourde oreille. Elle fait des grands signes dans son petit bureau de la sécurité sociale. On est demeuré ici à la sécurité sociale. Enuméré. Emmuré. Grimaces et grands gestes des mains. Mimé, onomatopées, ça devient gênant à la longue. Long le temps est, ici. Comme dans un couloir de la fin de l’histoire. On attend la tête baissée les épaules rentrées. Parfois on entend bip bip. On espère. On attend son tour. On est malade à la sécurité sociale. On à la nausée, la honte. Honte d’être un immigré. Honte de ne pas être. Honte de ne pas s’insérer. Se poser au calme dans des cases. De ne pas donner la bonne réponse, d’être assis au fond de la classe, loin derrière. Dernier rang. Ça sent une odeur spécifique. Une odeur incurable. Comme à l’hôpital. J’attends mon tour au centre de séc soc, cas soc. J’attends. J’attends encore, devant mon écran. Je remplis des cases, je tape sur des touches. Un piège à souris. Seule, la paix sociale.