La fête estivale du village bat son plein, boissons déversées dans des gosiers surchauffées, moiteur des mains et des pieds, les deux jeunes adolescentes ne savent pas encore à quelle rencontre elles vont se mesurer, elles dansent à en perdre haleine, sûres d’elles, sans pensées toutes en sensation d’explosion de vie, elles voient deux jeunes hommes s’approcher d’elles, beaux, du même moule de ces adolescents qui paraissent sans failles, prêts à toute conquête, bardés d’assurance, de sans peur, ils se sont rapprochés et invités à la danse, un rock endiablé, jupes virevoltantes, jambes fuselées, pieds intrépides, sans faux pas, slow ensuite, corps rapprochés, bras enlacés, têtes tendrement penchées, peu de mots, des banalités, une invitation à partir loin de la foule et des lumières, une marche silencieuse vers la route de la gare, celle qui a des fossés, tapissés d’herbes folles dans lesquelles le flirt peut s’installer sous les étoiles et la proximité des vers luisants, bien être, sensations sur toutes les parcelles du corps, mais il faut revenir au bal, la famille surveille assise autour d’une table, les tables bondées entourent la piste de danse, elle commençait à se poser des questions, un signe de la main pour solliciter des explications, les robes fleuries ne s’apercevaient plus, les rires sont proches, aucune disposition à encaisser les reproches, c’est la grand-mère qui parle avec gravité —je vous ai vu avec ces garçons puis plus rien, je ne veux pas que vous les fréquentiez, il y a une terrible raison dont je vous parlerai plus tard— les nuages s’amoncellent, la lune est subitement à moitié cachée, les robes se referment comme une corolle flétrie, les visages se replient, au loin les deux garçons attendent perplexes, elles ne reviendront pas, ils ne sauront jamais pourquoi, dix ans auparavant leur mère avait eu une relation extra-conjugale avec le neveu de la grand-mère lui-même marié, fou de passion pour elle et pour concrétiser leur projet de fuite lointaine sans argent il avait décidé de voler un banquier qui transportait certains jours des sommes d’argent importantes en voiture, il le connaissait un peu, s’est fait prendre en stop et l’a tué, un drame dans la famille jamais raconté, enfoui dans le gouffre des secrets mais là c’était trop, voir ses petites filles avec les fils de la femme complice, elles sont défaites, le maquillage coule avec les larmes subites, le sol se dérobe sous leurs pieds et apparaissent les monstres enfouis, elles veulent en savoir plus, insistent, la grand-mère finit par y consentir le lendemain, ouvre une grande boîte dans laquelle figurent des coupures de journaux, des lettres du neveu en prison, des photos de lui à plusieurs âges, elle dit qu’il avait été trop gâté par son père à la mort accidentelle de sa mère elle-même tué d’un coup de fusil de chasse par un simple d’esprit, la noirceur rôde, un monde s’écroule, elles ressentaient leur famille comme une famille simple, sans histoires et voilà deux drames jamais racontés, elles ont le sentiment de vieillir d’un coup, de perdre une insouciance non entravée jusqu’à cette fête de village l’année de leurs seize et dix-sept ans.