Fondamentalement, c’est un trimballeur. De stylos bien sûr, de carnets et aussi de feuilles volantes mais, dans sa plus récente époque, pas que… Oh, c’est depuis longtemps qu’il a choisi de se mettre sous le signe de la moëlle tendre. Un jeu d’orthographe sur son nom de famille lui a permis cela. Il a pu passer à Saüc, quelle chance ! Son nom, à une variante orthographique près, se trouve être, dans une autre langue que le français, le nom d’un de ces arbres qui ne montent jamais bien haut, sans doute en raison de cette caractéristique : jusqu’à la base de leur tronc, ils gardent la moelle tendre et c’est ainsi, leur désormais homonyme, qu’il prétend écrire. Comme on a toujours besoin de se sentir garder le contact avec de vieux amis, il trimballe toujours avec lui le Voyage sentimental et le porte d’autant plus haut et tendre que d’autres n’en peuvent plus de citer Tristram Shandy. Au total, des vieux amis, cela lui en fait beaucoup, offerts par Sterne, des moines sensibles, des voyageuses fragiles et, par-dessus tout, ce Laurence Sterne qui les lui offre. En plus, le livre est petit, c’est commode pour le trimballer dans son sac de cuir de chèvre d’Afrique. Cet objet, en tant que contenant, lui permet d’avoir toujours tout sous la main pour être prêt à écrire mais pas que… Car pour lui, être prêt à écrire, c’est toujours se situer au carrefour d’histoires déjà en route, une histoire d’arbre, une histoire d’écrivain ancien et, justement, une histoire de chèvre d’Afrique dont il maintient la mémoire de pauvre bête qu’il n’a jamais connu mais qui finit par être ce qu’il a le mieux connu au monde, peut-être parce qu’il n’y a pas de chèvre chez Sterne, il lui faut bien ses inspirations à lui, mais que dans le fond il aurait bien pu y avoir une chèvre chez Sterne. D’ailleurs, n’y en a-t-il vraiment pas ? Ah, ces questions qui parfois barrent le chemin. Il s’est dit une fois pour toutes que conserver des traces aidait à surmonter tout ça. Pour les avoir toujours avec lui, les traces, il a fallu qu’il s’adjoigne, tout récemment, un sac à doc où un grand cahier peut entrer tout entier, à dos matelassé pour que le cahier ne s’abîme pas trop car il le lui fallait, bien sûr, à couverture tendre, contenant pourtant une photo qu’il tient par dessus tout à protéger des cornages. Mais cela n’a rien à avoir avec une quelconque chèvre.