Et si l’herbe écrivait…Caressée par la brise, sur cette terre ingrate et chiche, où des feuilles tavelées de chêne-liège jonchent le sol, où des buissons et des ronces peuplent les bordures des chemins qui dessinent des possibles, elle ne sait pas ce qui s’écrit dans les marges. De l’herbe qui s’affole, tremble en une peau d’effroi, pense en une langue d’herbe et ne peut pas crier le pire qui pourrait survenir; ça reste au bord, sec comme des lèvres qui ne peuvent rien délivrer de ce qui s’est joué là déjà et qu’il ne faut pas que cela recommence. Un peu d’herbe comme ça sur le bord du chemin, avec des mots qui ne peuvent s’entendre, des mots de silence, dans ces touffes de mauvaises herbes, des mots de mur qui ne passent pas le son. L’herbe fait son boulot, mais reste dans le vague, sur le terrain de l’abandonné, du délaissé, des bordures sans noms. Les langues d’herbe haute savent le chemin sans grâce où il ne faut pas aller et la fin d’une histoire qu’il ne faut pas commencer, mais ne savent pas dire, elles n’ont pas l’alchimie des mots.
Et si l’herbe écrivait… Elle dirait que ce chemin là qui part sur la gauche, il ne faut pas l’emprunter, quelqu’un l’a déjà fait et s’est perdu à tout jamais. L’herbe frêle attend en tremblant que cette femme choisisse son chemin: son pas est immobile mais crisse encore du bruit d’avant, comme si le son prenait le temps du songe. Dans ce carrefour, il y a cinq chemins, plus ou moins dessinés, plus ou moins accessibles. Mais il y en a un qui chemine vers le rien, le grand silence du rien. Un vent léger caresse l’herbe qui cherche langue. Il y a là-bas et il y a ici où passe encore le jour et le silence accuse. Il y a ce là-bas où il ne faut pas et les autres possibles. Et le vent écorche le silence, tente une parole.
Et si les arbres parlaient… mais ils murmurent à qui sait prêter l’oreille. Ils serrent et desserrent leurs branches où se tiennent ce qu’il faut savoir pour vivre parmi eux. Ils parlent entre eux, s’échangent des informations par voie souterraine…Ils savent que ce chemin, là sur la gauche n’en vaut pas la peine, qu’il y a des écueils qu’il est préférable d’éviter, des plantes à ne pas toucher, des ombres sans plaisir…Si elle connaissait la langue des arbres, elle saurait sur quel chemin risquer son corps afin de poursuivre ce qu’elle a commencé de vivre. Elle saurait cette sente, celle que les herbes déconseillent, celle que les arbres cherchent à calfeutrer, celle qui mène vers le rien, vers le grand silence du rien.
Le ciel brûle sur les chemins sombres et le parcours n’est pas fléché. Dans l’huis de ce jour, elle ne sait rien, ne voit rien que cette végétation nouvelle à ses yeux, à la géologie sauvage, au relief fatigué, des buissons, des arbustes denses et inhospitaliers, des ronces, de la dureté en herbe, peuplent les espaces qui se raréfient une fois sorti de cette sorte de clairière. Elle opte pour la sente la plus large, espérant un chemin digne de ce nom. Une boule dans le ventre, comme lorsque enfant avait lieu la rentrée des classes, un chagrin sans raison véritable coincé au fond de la gorge, elle cherche à donner sens à tout ce qui se présente devant elle. Il lui semble que la lumière elle-même l’abandonne et que plus elle progresse dans les taillis moins elle voit. Elle pense subitement que la lumière se tait. Rien donc pour l’aider à comprendre quelque chose à ce qu’elle doit traverser. Elle avance sans hâte, la sente se rétrécit assez rapidement, semble tourner sur elle-même, et très vite elle perd tout sens d’orientation et ne sait plus d’où elle vient. C’est à la croisée des errances que se perdent les pas.
Magnifique. Envoûtant. Merci, pour ces sentes et ces chemins qui montrent la route, et les arbres, et l’herbe qui s’écrit, Solange, tant de délicatesse, et si, et si, et si? Comme une comptine…
Je prends tout!
Merci Claire: je n’étais vraiment pas sûre de moi…
Balade hypnotique. Lente et onirique. Merci.
Contente de votre lecture » hypnotique et onirique »! Merci.