il était tard la route était longue quelques deux heures plus même l’hiver le matin sur les ponts il fallait faire attention au verglas et le soir au retour lutter contre l’endormissement elle garait sa voiture derrière les appartements toujours dans le sens du départ elle passait par le sous-sol pour rentrer une habitude elle aurait pu rentrer par la porte d’entrée et se sentir à la maison par l’odeur du feu dans la cheminée du salon qu’inévitablement il aurait déjà allumée puisque c’est lui qui allait chercher les enfants mais pour cela il fallait faire tout le tour des appartements et surtout monter le petit chemin parfois verglacé et puis les habitudes sont difficiles à changer elles mettent notre attention en somnolence nous bercent dans une douce servitude sans réfléchir elle rentrait systématiquement chez elle par la porte de derrière montait l’escalier poussiéreux sans rambarde ouvrait la porte donnant sur le couloir c’était pratique la porte n’était jamais fermée à clé elle posait son sac de cours dans le recoin à droite avant d’aller directement dans la cuisine sans annoncer qu’elle était rentrée de toutes façons les enfants étaient en général chez les voisins et lui dans son bureau et elle elle avait toujours envie en rentrant d’un moment de silence pour ne plus ressasser combien elle détestait cette route et la mentalité du corps enseignant d’un geste automatique elle prenait l’anse noire de la bouilloire rouge toujours posée sur le brûleur droit de la gazinière blanche elle la remplissait d’eau allumait le feu et le temps que l’eau boue elle ouvrait d’un geste lent le placard contre la fenêtre elle prenait dans la boite en fer verte trois pincées de feuilles de thé comme le faisait sa mère déjà la bouilloire sifflait elle buvait toujours son thé dans une tasse en porcelaine elle avait pris cette habitude quand elle fréquentait une amie portugaise qui à l’époque collectionnait non seulement les tasses mais aussi les théières et à l’heure du thé tout s’arrêtait pour elle autour du glouglou de l’eau chaude versée dans la théière du crissement de la petite cuillère remuant sucre et nuage de lait du tintement de la tasse reposée sur la sous-tasse du goût du petit sablé trempé dans le thé tellement bavarde l’amie cela pouvait se comprendre elle vivait seule veuve erreur médicale le sujet revenait à chaque visite elle ne se souvenait plus de la date de leur dernière rencontre elle avait arrêté de la voir du jour au lendemain sans raison aucune une habitude cesse sans que l’on s’en rende compte parfois et c’est un peu comme si l’on se trouvait devant une terre vierge elle avait perdu l’amie il lui était resté l’habitude de prendre le thé elle portait la tasse aux lèvres et fermait les yeux l’odeur du thé lui faisait oublier la navette jusqu’à la fac quand il s’apercevrait de l’heure il descendrait poserait sa main sur son épaule pour lui demander comment s’était passée la journée il ne manquait jamais de le faire tout comme le matin quand elle partait il ne manquait jamais de lui faire un signe de la main par la fenêtre de la cuisine elle aimait la légère pression de sa main sur son épaule une ancre qui la maintenait dans un port d’attache