je dors dans le même lit qu’elle, je ne sais pas qu’un corps existe sous sa chemise de nuit, au pied du lit un pot de chambre, je me couche pour la première fois à côté d’un autre corps et cette nuit sent la pisse et l’eau de Cologne
j’attends les soirs de pluie juste pour elle, la première goutte qui surprend, puis une autre, elles cognent toujours plus fort, elles étouffent le reste, je n’entends plus la respiration qui vient du lit d’à côté, la pluie me donne une chambre à moi
au fond, tout près du bout du matelas, quand les pieds s’effleurent, se cherchent, au bout tout au bout des possibles, quand les souffles s’écoutent et que le sommeil fait semblant, quand attendent les lueurs du premier jour où nous existera enfin
on a laissé le Vélux ouvert en espérant qu’un courant d’air s’y engouffre, les corps assommés de chaleur peinent à trouver le sommeil, un grondement lointain nous arrive, dans le ciel percé de lumière l’orage se rapproche, on voudrait que ça explose juste au-dessus de nos têtes
un petit radiateur d’appoint, à huile, émet une chaleur inexistante, je repense aux mots de la journée, aux mots de la poète sur le deuil, je repense à ce trou dans mon ventre quelques semaines plus tôt, ce n’est pas l’octobre des Cairngorms qui me fait frissonner, c’est cette béance
ce qui nous tire du sommeil, c’est le raclement de la pelle à neige, c’est le choc du métal qui accroche les graviers, c’est son grincement strident qui en n’importe quelle autre circonstance aurait gâché le réveil mais qui, ces jours-là, vient se poser sur l’oreiller avec la délicatesse d’un flocon
tout juste la force de me lever, le ventre me tire en avant et me jette au sol, devant la cuvette des toilettes, sur les murs blancs une affiche d’exposition de peinture, je retourne m’allonger, s’il m’arrivait quelque chose personne ne saurait où je suis
la lumière blanche ne s’éteint jamais, elle traverse les rideaux aux fleurs délavées, les cloisons de fortune, la lumière emmène dans sa coulée les pleurs et les cris, il n’y a pas d’heure pour venir au monde
pas mon sommeil pas mes rêves, lestée du récit de ses soubresauts, toutes les nuits il rêve qu’on veut l’attraper, il crie et se réveille en sueur, quelle réalité dans cette image, quelles nuits d’enfance assaillies, quelle histoire qui ne se dira jamais, ce seraient ses mots à lui, ce serait
le dernier verset à écrire
avant de s’endormir
quelle joie que nos titres commun me fasse découvrir ce texte dont on sent les odeurs, la pesanteur et la lumière …immersion totale dans les nuits…
Belle coïncidence en effet! Merci de votre lecture et votre retour
Des courts récits fluides parsemés de quelques fulgurances, comme des coups de dague. Chacun le début d’une histoire dont on aimerait connaître la suite ! bravo !
Oh, merci, très touchée!