Seuls avec les autres, la vie se fait complice inattendue.
Le bus pose toutes portes ouvertes. Il vient d’arriver. Il va repartir. L’air est frais, le soleil haut et insouciant, généreux dirais-je en ce jour d’hiver. On voudrait presque croire que les feuilles pointent déjà au bout des branches devenues carmin. Deux femmes, l’une est plus emmitouflée que l’autre. C’est elle qui a un cartable. Il y a peut-être de la fatigue en elles. La matinée fut longue, à écouter des étudiants tenter de décrocher leur examen pour un futur qu’on ne saura jamais, à tenter de saisir leur présent sans vouloir pour autant renoncer, oublier, délaisser. Deux regards. Deux sourires. Le bus va partir. Vers un ailleurs d’elle. Vers un ailleurs de l’autre. Après tout ce temps à faire une pause entre deux choses à faire, deux textes à finir, trois mails à transmettre, un rapport à rédiger, pour rire un peu, penser à autre chose que l’ennui, la tristesse, les difficultés inhérentes et imprévues quotidiennes ou passées, un lien s’est tissé au sein de ce réseau de notre humanité, ténu, réel. Deux regards. Heureux de s’être rencontrés, peut-être un jour comme celui-ci, ensoleillée, tranquille, apaisé. Le bus va partir. Je dois finir un livre et préparer les cours du second semestre. J’ai rendez-vous demain à Paris. Les regards s’éloignent. Il ne reste que leur brillance. Il ne reste qu’un sourire délicat. Il ne reste que le soleil. Elle ne veut pas que je la voie monter dans le bus, ne gardant que le souvenir des adieux au milieu d’un futur du retour chez soi. Une simple porte qui s’ouvre et un moteur qui vrombit. Ai-je bien composté mon billet ?
Le train est à quai. Il va partir d’ici une dizaine de minutes. D’autres passagers devraient arriver. J’ouvre un livre, ou un carnet, et me plonge dans ce présent du passé, rédige quelques notes. Je la reconnais à sa façon de cligner les yeux et faire ce mouvement de bouche, comme si elle parlait à un interlocuteur connu d’elle seule. Aujourd’hui, elle ne porte pas de bonnet et sa chevelure garde pourtant cet aspect hirsute et batailleur. Le tic la prend et elle cligne des yeux, avance les lèvres épaisses dans un mouvement de succion, remonte machinalement la monture vers la racine du nez. À la lumière de l’après-midi, elle regarde un peu dehors le paysage défiler, touche ses cheveux, la monture des lunettes et continue de parler avec cette voix lente et rauque. Elle cligne des yeux. Nous sommes entourés par le ruban vert et tremblant entrecoupé de taches azur et terre de sienne des oliveraies. D’un coup les mots sont clairs, simples et clairs, clairs et précis, sans accent particulier « Je suis une pauvre personne mais je comprends bien qu’on ne peut ainsi tirer la corde et que je ne peux faire plus. » Elle aussi revient de sa journée de travail dans un établissement scolaire. Le vert, le bleu, les écorces, les pierres.
Au milieu des allées et venues, l’instant d’un éclat sur une boucle de cheveux, le talon qui n’est pas bien posé sur une marche, le geste d’une main, plonger dans cet autre soi qui gribouille sur votre mémoire.
Très beaux, ces descriptions de personnes entrevues ou double dont quelques elements suffisent à donner présence. La dernière phrase est magique « plonger dans cet autre soi qui gribouille sur votre mémoire ». Merci
Toujours en retard dans mes réponses. Merci à vous et heureuse que mes mots aillent vers les vôtres.