Il n’y a pas de début, il n’y a pas de première phrase. Il ne faut pas faire de pause, la pause est une faute, l’enregistrement s’arrête, les mots passent dans l’air. Il faut continuer de parler, ne pas s’arrêter, parce que sinon, les mots ne s’écrivent pas en blanc sur le noir automatiquement à partir de ce qu’est une voix, mais est-ce que c’est la voix qui est écrite? Il pensait, je pensais, il écrivait, il disait, je pensais, c’est à peu près la même chose, on ne sait pas trop d’où ça parle, en tout cas, il n’y a pas de première phrase. C’est vrai, c’est peut-être une prétexte, une excuse pour ne pas commencer, ou pour penser avoir déjà commencé. Il n’y a pas de première phrase, elle arrive par hasard, peu importe laquelle, ce pourrait être une autre. Elle arrive parce que tout est déjà en forme. J’ai fait ma tragédie, il ne me reste plus qu’à la mettre en vers. Il est là. Il est donc là dans son appartement, il est dans la chambre, il est devant son bureau, il se dit qu’il va être écrivain enfin, comme dans les livres où on voit quelqu’un s’asseoir à la table, c’est la dernière page de l’Acacia, c’est la première page d’Histoire. En commençant chacun de ces livres, il dessinait son bureau, l’endroit d’où il écrivait ou alors il le décrivait par des mots. Et pourquoi un dessin et ou bien des mots, on ne le sait pas. Il y a bien une fenêtre près de la table, mais pas d’arbre près d’elle. La nuit lorsqu’il voudrait écrire, la fenêtre est toujours ouverte, il entend les chiens dans la nuit, loin. Il n’y a pas de livre, il y a cet appartement. Les habitants du village n’y entrent pas. Quelques-uns l’on visité parce qu’il était en vente. Je ne suis pas propriétaire. S’il est acheté je devrais partir ailleurs, déménager livres, carnets, tout le fatras de papier qui constitue ma vie. Les rares habitants qui sont entrés proposent des souvenirs. Ils sont déjà venus, avant même que tu ne naisses dans un autre pays. Ils récitent la généalogie des propriétaires. Il y a des fantômes et il est seul. il doit être seul pour écrire. Le livre est sur l’extérieur. Il doit sortir et il doit rester terré. Il va sortir, il va humer, il va regarder, tout sera proie. Il ne sait pas quand il est venu ici pour la première fois. Il a des souvenirs contradictoires, ils se tissent, il invente. II sort. Il ouvre les deux portes, l’une après l’autre. Il est dans la rue en pente, ce serait du personnage cela, une rue vide. Il marche, il regarde, il regarde les murs, le crépi, les portes jamais ouvertes, les portes des caves, les portes fracassées, les portes murées des grottes. Il suit le fil de la route, il marche dans l’eau qui coule et déborde. Il ira jusqu’à la place. Il pourrait continuer, remonter la rue encore plus haut, ou bien descendre aller aux dernières maisons et entrer dans la campagne. Il croise des visages. Il en salue certains. Ce sont des visages familiers vus chaque jour ou presque, il y a une périodicité même peut-être pour chacun d’entre eux. Le plus souvent, il ne sait pas les noms, il ne sait pas les histoires, il ne sait pas la folie, les intrigues. Il imagine. C’est un carnet. Chacun devrait être là, chacun devrait être écrit. Il voudrait détruire tout cela avec des mots, mais surtout se détruire lui-même, sans sang ni mort, pour peut-être qu’il y ait enfin une histoire. L’autre jour en écrivant des lettres, il s’est rendu compte que le nom du village, celui qui ne vous est pas dit, ce nom-là a le même nombre de lettres que Macondo et en répète les lettres initiale et finale. Il l’a considéré comme un présage. Il ira se promener sur la montagne sacrée des Romains, il en fera le tour. Il ira aux endroits où l’esprit semble régner. Il s’approchera des grottes, il montera aux ermitages et puis il reviendra. Il rentrera chez lui, dans la pièce sans fenêtre, s’installera devant une des tables, une petite table, un plateau pliant qui peut qui abaissé rejoint le mur, et, relevé, forme une table carré. Je commencerai.
Que la phrase d’introduction advienne parce que tout est déjà là, oui. Elle fait son entrée. Que l’auteur ne soit pas propriétaire, oui. Il arrive après tout le monde. Pour peut-être qu’il y ait en fin une histoire, oui. (Et encore bien d’autres, oui, merci.)
Je n’y avais pas pensé en écrivant. Le texte le dit, peut-être, mais tu me le fais découvrir 🙂
il n’y a pas de premiere phrase. Même si c’est une sorte d’evidence quand on le lit, ça fait rudement plaisir de le lire.
Peut-être une aide pour moi aussi 🙂
« Les rares habitants qui sont entrés proposent des souvenirs. Ils sont déjà venus, avant même que tu ne naisses dans un autre pays. » (c’est rudement beau)
Parfois la hâte a la main heureuse