Mon souvenir est brumeux et hachuré de pluie. Mais sur les images de Google, le ciel est toujours bleu.
C’est un appartement qui se trouve rue de l’Est, à Paris dans le XXème arrondissement. Mon oncle, ma tante et mes trois cousins y habitent.
Tout d’abord il y a le trajet pour y aller. On prend le périphérique porte Maillot, porte de Champerret, ça dépend du trafic. A l’aller, il faut prendre le périphérique intérieur – on a Paris sur sa droite. Au retour c’est l’inverse. Papa m’a appris ça très tôt. Je ne me suis jamais trompé par la suite entre l’intérieur et l’extérieur. Cela me rassure, comme si cette distinction structurait ma pensée. Aller rue de l’Est, c’est d’abord cela : regarder la ville défiler par la vitre arrière, en tournant autour. Et puis pénétrer intra muros, c’est quand même quelque chose, pour nous les banlieusards.
Après, il y a cette petite rue en pente. On trouve à se garer plus ou moins loin. Je vois quelques immeubles assez moches, assez hauts. Je suis petit. L’immeuble de mes cousins se distingue par les gardes-corps des balcons, qui sont en verre teinté, une couleur orange-marronasse plutôt laide. Je ne sais pas pourquoi j’associe cet appartement à ces vitres teintées, je ne sais même pas si elles ont existé. En tout cas, d’en bas, elles permettent de repérer l’immeuble.
Ensuite on gagne l’appartement, qui se situe au quatrième, peut-être au cinquième étage. Il est probable qu’on prenne l’ascenseur, pour s’y rendre, probable que cela soit une ascension excitante pour un enfant. J’imagine que je demande à appuyer sur les boutons. (Plus tard, on perd ce rapport magique au monde, cela ne nous excite plus d’appeler les ascenseurs). Mais je ne me souviens pas de l’ascenseur.
A l’intérieur de l’appartement, je ne saurais dire si c’est grand ou petit. C’est encombré en tout cas : beaucoup de monde au mètre carré. C’est normal, on n’y va guère que pour des réunions de famille. Je me souviens du couloir, un simple couloir qui dessert les différentes pièces à gauche et à droite. Est-ce que je stationnais dans ce couloir, ne sachant où me tenir, trop jeune pour rester dans le salon avec les adultes, trop grand pour aller jouer dans les chambres avec mes cousins plus petits ? Ou est-ce ma mémoire qui ne parvient pas à pousser plus avant dans cet appartement, à aller au-delà de ce couloir ? Comme dans un rêve, je ne peux franchir les portes.
Reste encore cette sensation si particulière, pour moi qui vivais en pavillon, cette sensation étrange d’être en l’air, suspendu dans le ciel, et d’avoir toutes les pièces au même étage ; sentiment d’étrangeté qui ne m’a jamais vraiment quitté par la suite, à chaque fois que je me suis trouvé dans un appartement, et y compris lorsque moi-même, j’ en ai habité un. Aisance, confort, mais aussi confinement et oppression.
Cet appartement est sans doute pourvu de balcons, que je revois étroits, encombrés de plantes. Mon oncle y fume peut-être des cigarettes, mais nous, on n’a pas le droit d’y aller, trop froid, trop dangereux. C’est l’hiver, dans mon souvenir, il fait froid et même le nom de cette rue, la rue de l’Est, évoque la grisaille et le frisson. Ce jour-là, on fête sans doute des anniversaires. Je revois le gâteau crémeux confectionné pour l’occasion, bicolore, vanille / chocolat. Il se présente dans un plat en pyrex. On l’appelle pavé, c’est la spécialité de ma tante. Je trouve ce dessert un peu écœurant, il a le goût des dimanches passés à trop manger.
La nuit est déjà tombée, il faut rentrer, il y a dans l’air une sorte de cafard vague. Tout est flou.
J’ai parcouru la rue de l’Est sans en connaître le nom, un jour où je marchais rue des Pyrénées et que sa perspective en légère pente m’avait attirée… J’ai beaucoup aimé la sensation de rêve, d’étrangeté qui ressort de votre texte
Merci pour votre lecture !