Stupeur, après tant d’années, retour à Montpellier dans la rue de la première enfance, rue de la Verrerie Haute devenue rue de la Verrerie. Rue amaigrie, tronquée arbitrairement de son qualificatif et surtout de la vie intense et colorée qui y régnait. Et curieusement plus loin création d’une nouvelle rue, la rue de la Verrerie Basse ! La rue de la Verrerie est toujours bordée par l’Ancien Collège Royal de Médecine devenu en 2013 le Mo.Co. Panacée Centre d’Art Contemporain. Réhabilitation de vieux bâtiments. L’appartement occupé à l’époque se situait au premier étage au croisement de la rue de la Verrerie et de la rue Expert, la rue du Calvaire très pentue débouchait sur cet angle. La rue de la Verrerie n’a cessé de rester parallèle à la rue de l’Université, siège de l’ancienne université de Droit ! La rue actuelle est sans vie, sans cris, sans musique. Un peu modernisée, retapée mais transpirant toujours sa modestie, même si les prix grimpent car le centre-ville, l’Écusson suscite à nouveau beaucoup d’intérêt. Je remonte la rue du Calvaire comme autrefois pour avoir le plaisir de la redescendre à ma vitesse maximale certes moins vite que jadis, je courais alors et imaginais me trouver sur une piste d’envol qui se traduisait parfois par une chute et un genou écorché. Mais pas grave, importaient les sensations, la griserie de la vitesse et du risque pris. J’ouvrais la porte, grimpais l’escalier en pierre et en colimaçon, alors toute rouge et le dos mouillé je pénétrais dans l’appartement où m’attendait un goûter fait de tartines de beurre saupoudré de cacao. La rue est devenue triste, morne. Petit immeuble, petites façades, ouvertures étroites parfois agrandies, crépis superposés, décors de vies successives, la même rue, mais dévitalisée. On y passe et on n’apprend rien. Enfant, la rue ouvrait portes et fenêtres, accueillait les vendeurs ambulants, les rempailleurs de chaises. Quand les devoirs étaient terminés, il était temps de redescendre l’escalier, retrouver la copine de la porte à côté, de rire, de se disputer et très souvent de s’asseoir sur un petit banc pour écouter la grand-mère raconter des histoires. Est-ce possible, j’entends les cris poussés par ces deux fillettes qui se battaient dans le couloir pour une raison oubliée. L’amitié renaissait le lendemain ; au bout de la rue vivait une famille de gitans très nombreuse, des cris, des rires et des chants offraient une présence incroyable ; certains jours les danses accompagnées par une guitare me fascinaient et je tentais d’imiter leur rythme seule à la maison devant l’armoire à glace. En face de la maison, une devanture fermée, avec un grillage rouillé. La peinture de la façade est effritée. C’était l’épicerie de Félicie. Une vieille dame veuve toujours habillée de noir, qui aimait les enfants. Au temps des cerises, achetées non pas au kg mais par petits paquets attachés les uns avec les autres je détachais deux paires de deux cerises et je les posais sur le contour des oreilles comme des boucles d’oreilles. Pas de doute sur le charme acquis et sur la satisfaction d’une proche dégustation. Le seuil restauré de la porte d’entrée de l’immeuble a gardé les mêmes dimensions étroites. Yeux fermés, je revois la fillette de quatre ans que j’étais, assise tranquillement sur ce seuil en pierre et attendant sa mère dont elle s’était éloignée sans crainte, cette dernière regardant avec attention un magasin de laines situé assez loin de la maison, sur la place de la Préfecture. Impatiente, j’imagine, j’étais partie et avais rejoint seule la maison. J’affirmais déjà l’indépendance qui ne me quitterait plus ! Ma mère affolée me rejoignit plus tard, après avoir parcouru toutes les rues environnantes, je l’accueillis avec calme, elle m’embrassa les yeux remplis de larmes. La rue de la Verrerie, une rue banale aujourd’hui, aseptisée, mais un cœur qui bat encore rejoint par réminiscence cette rue-microcosme gorgée de découvertes, d’expériences, cette rue-école de la vie qui tambourine dans ses oreilles.