En temps réel, dix heures il a fallu. En temps de lecture il faudra cinq minutes. Je suis allée quarante-huit fois à Paris pourtant, enfin dire que j’ai traversé le périphérique quatre-vingt seize fois est plus exact, de la porte d’Italie à la porte de La Chapelle mais pour aller en Picardie, à côté d’Amiens, dans un tout petit village, la citadine Ricamandoise a aimé la campagne. Mais une fois, un matin, j’ai pris le temps quand même : Partie de bonne heure d’Amiens, plus exactement de la gare aux betteraves, j’arrive gare du nord, Paris à six heure cinquante-six, attrape le bus ligne quarante-trois, beaucoup de travaux partout, je suis à la gare Saint-Lazare, puis je finis à pied, je veux aller au vingt-deux rue d’Amsterdam sur le plan je vois rue de Londres, de Florence, de Liège, Vienne, Milan, Madrid et encore encore, on est tout près de la place de l’Europe et j’arrive vers dix heure devant cette porte que je cherchais. Aucun nom sur cette porte, marron très foncé, l’entrée est belle en imitation pierre, en levant la tête je vois Mélodie en lettres rouges fluo, dommage ce n’est pas un magasin d’instruments de musique, c’est un bar-restaurant-hôtel de Dieppe, un peu plus bas, du Havre.
En marchant dans cette rue je n’ai vu que ça : des hôtels, proximité de la gare Saint-Lazare sûrement. Ce numéro vingt-deux a cinq étages, plus des chiens-assis, chambres de bonnes on disait avant, les étages sur quatre fenêtres avec des garde-corps en fonte. Sur la droite de la façade à coté de la dernière fenêtre du deuxième étage, un gros cylindre de trois mètres de haut ressemble à un phare, son socle plus large marqué Calvados, la tour et la coupole comme une lanterne et même le balcon de veille.
Le voilà ce phare de Dieppe. Quelques personnes dans cette rue, masqués en bleu en noir à fleurs, on approche de midi, mais ce n’est pas la foule. le trottoir est très large, très bien entretenu. Je viens d’apprendre que des inspecteurs arpentent les rues et tiennent un carnet où ils notent toutes les fissures chiendent trous. Ici, tout est nickel. La chaussée est en pavé mosaïque écailles. En face, d’une fenêtre entr’ouverte j’entends HK et Kaddour Hadadi « Nous on veut continuer à danser encore Voir nos pensées enlacer nos corps … » et j ‘enchaine « Nous sommes des oiseaux de passage Jamais dociles ni vraiment sages… » en un petit bout de rue, toutes nos pensées, en noir ou bleu, l’air est triste pour Paris, j’entends mais de loin des tôles ou bouts de carrosserie tomber dans une benne, une pelle racle sans cesse des débris. Oui l’air est plombé et je sais pourquoi je me retrouve là, je voulais venir depuis longtemps, Baudelaire y a vécu pendant cinq ans, déprimé découragé et malade, mais il a écrit là « les paradis artificiels » et des études sur Wagner, j’aime penser qu’il y a vécu quelques années plus douces, je reconnais maintenant sa douleur d’être et son désir d’être mieux toujours là où il n’est pas. Je sais la maladie, la tristesse, la mort. Il est impossible de la faire taire, il est inutile de la faire taire. Je viens chercher près de Baudelaire ses mots comme il les remue, les frotte, comme il éblouit et comme parfois il désespère. Baudelaire à fleur de peau qui veut du vin et du haschich, je veux du vin et du haschich, il me dirait son âme, je penserais comment vivre avec tout, embrasser tout, et rire quand même, être confiant, même si pour le moment c’est noir.
Merci Simone pour ces mots remués et frottés, plus forts que le vin et le haschich.
Ah. Merci, Ugo, de ces mots, je n’étais pas trop sûre pourtant.
rire quand même, même si, exactement…
Oh oui , et chanter.
Bonjour simone,
vous nous emmenez vers l’homme avec vos mots, de la facade au plus profond, et on oublie le vulgaire des hôtels pour aller vers la main du poète qui trace le poème, et vous avec lui, en modestie mais bien présente, en empathie, et …nous avec,
Merci, Catherine, pour ce commentaire. Tu es très éclairante, merci beaucoup.