Il s’est passé quelque chose
Le mobile home avançait lentement, presque avec précaution. Ses pneus crissaient sur le gravier, enfonçaient les cailloux dans la terre meuble. On entendait le ronronnement sourd du moteur, régulier, paisible, comme un souffle mécanique qui ne se presse pas. Et puis le bruit.
Un craquement sec, à peine étouffé. Juste un instant, mais suffisant pour figer l’air, suspendre les gestes. Le moteur continuait pourtant, indifférent. Une odeur âcre s’éleva, vague et furtive, un mélange de poussière, d’huile chaude, et… autre chose. Quelque chose s’était passé. Sous les pneus, sur le gravier. Dans ce craquement, un instant qui ne reviendrait pas, qui resterait là, suspendu dans la chaleur moite de l’été, comme un souvenir à moitié effacé. Le chat.
Dans le jardin, tout s’était arrêté. Sur la pelouse irrégulière, sur la terrasse où les chaises semblaient posées au hasard, les regards convergeaient, lents, comme s’il fallait un temps infini pour comprendre.
C’était là. Juste devant le mobile-home. Un amas de poils sombres, aplati, indistinct. Une flaque rougeâtre s’élargissait doucement, infiltrant les crevasses du gravier, dessinant des contours imprécis, presque abstraits.
Héléna s’était levée. D’un geste brusque, une main sur la bouche, l’autre agrippant la chaise qui bascula légèrement. Ses yeux s’élargirent, et le soupir qui sortit d’elle ne trouva pas d’issue. Il gonfla se brisa, il devint un cri. Un cri aigu, tendu, qui déchira l’air comme une lame, faisant sursauter les corps figés autour d’elle.
Personne ne bougeait vraiment. On restait là, debout ou assis, retenus par quelque chose d’indescriptible, une tension qui avait pris la place des mots. Le chat… On savait bien qu’il s’agissait du chat, celui qui flânait toujours, celui qui dormait au soleil près des pots de géranium. Mais ce n’était plus un chat. Ce n’était qu’un morceau de vie écrasé, une tache rouge dans l’après-midi calme, et cela suffisait à faire basculer l’ordre fragile des choses.