#roman maison #1 | gestes

Elle entre dans la salle de bains, serre le robinet qui goutte. Devant le miroir elle lisse ses cheveux avec un peigne en plastique bleu, approche les lames de son front, lèvres pincées, coupe sa frange en trois coups secs, des éclats roux se collent sur l’émail blanc.

Debout près de la fenêtre avec son bol de café, elle regarde au dehors, la clarté qui revient, il lui semble entendre le son d’un piano. Elle colle son front à la vitre pour en éprouver la fraîcheur, se détache, efface l’aureole que la moiteur a laissé sur le verre avec l’extrémité de la manche de sa blouse. Puis retourne vers la table où elle a laissé son paquet de cigarettes.

Elle cherche ses gants, d’abord d’un regard circulaire, ample, qui s’accroche au dessus des meubles, elle fouille les poches du manteau qu’elle a déjà enfilé, ouvre le tiroir du haut de la commode, brasse les nippes, les attrape à pleins bras et les jette sur le lit ouvert, elle fabrique une constellation de bas, culottes, chaussettes, trouve des gants désarsortis, quitte la pièce en pleurant de rage.

Elle enveloppe l’enfant d’une serviette éponge, la soulève hors de la baignoire, la porte jusque sur le lit recouvert d’un jeté en velours, lui frictionne la poitrine, le ventre, les cuisses en riant. Et puis elle la couvre de baisers, ses joues en feu, ses mains petites, ses cheveux humides, elle l’embrasse encore.

Elle étale les feuilles de papier journal sur la table de la cuisine, sa main plonge dans le sac en kraft, en sort une pomme de terre, à l’aide d’un économe elle déroule un long serpent de peau terreuse en chantonant une comptine, Marie assise sur une pierre, sur une pierre…. Une fillette entre dans la pièce, s’approche de la table, attrape une épluchure brune qu’elle fait glisser entre ses doigts.

Du mollet elle explore l’espace libéré sous la couverture, encore tiède, amolli par le corps de sa soeur. Elle remonte le drap sur son visage, hume l’air du lit, son odeur lourde et apaisante. Elle pose sa main sur son ventre, qu’elle soulève d’une lente inspiration, puis elle joue à la morte.

A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/

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