Ce soir d’été 75, la fille de seize ans et le garçon, leurs jambes nues, les grosses chaussures aux pieds, sur le bord du toit, assis. Lèvres ouvertes et fermées tour à tour, les mots d’une bouche à l’autre, quelques mots. Ils vont descendre étirant les minutes avant de rejoindre la cuisine.
Ce soir d’été 75, devant la porte ouverte sur la cour encombrée de matériaux, poutres, longerons, piles de tuiles, sacs de ciment, tas de sable, il regarde son ombre qui s’allonge sur le mur, une cigarette à la main, il respire avec lenteur, et exhale à fond la fumée qui se disperse, sa silhouette vibre sur le fond gris de la façade .
Ce soir d’été 75, les odeurs s’échappent de la cuisine et emplissent l’air. Ses papilles s’énervent et la salive envahit sa bouche : elle a faim, et en prend pleinement conscience. Elle toque à la porte de la salle de bain. À l’intérieur l’eau coule encore. Pourtant la règle est simple. Douche rapide. Un aller et retour. Savon. Rinçage. Pour l’eau chaude, elle oublie, mais elle ne veut pas être la dernière. Celle qui retarde le groupe. Qui se fait remarquer. Elle tape à la porte une seconde fois À moi maintenant !
Ce soir été 75, la fenêtre de la chambre donne sur la cour et la fumée de la cigarette s’imisce dans la pièce, elle voltige et se dissipe, il restera une odeur d’Amsterdamer qui va faire réagir la fille qui sort de la salle de bain. Elle appelera depuis la fenêtre Roule m’en une. J’arrive. D’y penser, un sourire complice étire les lèvres de celle qui, lavée et rafraîchie, finit d’enfiler une tenue propre. Elle tire sur le tissu et danse dans sa robe légère. La poussière du chantier… demain. Elle veut profiter de la soirée.
Ce soir d’été 75, les deux corps penchés sur les plans semblent immobiles. Avec un crayon à papier, une main trace des hachures sur une zone étroite et longue. Un couloir ? Il y a un doute. Il faudra voir. Et remesurer. Et prendre une décision. Et ne plus changer d’avis. Et se tenir une bonne fois pour toute au programme. Les têtes se tournent l’une vers l’autre, les lèvres touchent les lèvres, les bouches s’entrouvrent et se mordillent.
Ce soir d’été 75, à l’évier elle finit de laver une salade, deux qui rigolent et se charrient, coupent des tomates et épluchent des œufs durs. Un joli plat prend forme, et c’est la surenchère à qui fera la plus belle composition. Elle termine la salade et cherche comment l’essorer. Depuis la salle de bain une voix crie Sous l’évier ! Dans le four, le gratin cuit en mijotant, la crème bout, les tranches de pommes de terre ramollissent et la surface bosselée prend une belle couleur appétissante. Dans vingt minutes on passe à table. Le fumeur rentre, avale une olive subtilisée sur le plat de tomate. Je vais mettre le couvert. On entend appeler d’en haut. Sans comprendre.
pleins de la poésie que vous lur donnez
les échanges de souffles, cette fumée qui va d’un fragment à l’autre et trouve sa source la fin… les salles de bains et les voix et bruits qui s’en échapent