En haut des marches, traînent quelques canettes de 8/6. Deux sont écrasées en leur centre, une est renversée, une autre a roulé au pied des escaliers.
C’est encore le matin. C’est un 19 octobre.
En haut des marches de larges porte vitrées donnent sur un hall. Dans le coin gauche un escalier monte à l’étage. Dans le coin droit, c’est l’accès aux toilettes et à une kitchenette. Une femme monte les marches extérieures. Elle sort de son sac un énorme trousseau de clés, le visage radieux. Lorsque les portes sont ouvertes on peut voir tout un barda de sacs, de cartons, de cadres, de lampes, une boîte à outils, un coffre de voyage en bois, des lampes de guiguette. On dirait qu’une fête va se tenir. A la démarche de celle qui vient d’ouvrir la porte et de poser son sac et les clés sur ce qui pourrait être une banque ou un bar, on sent déjà la joie du lieu.
Au sous-sol, des acteurs et des actrices s’affairent, maquillage, habillage, lecture des textes, échauffement. C’est leur première soirée dans ce nouveau lieu. Les loges sont vétustes, meublées de récup mais les lampes autour des miroirs sont disposées professionnellement. Tout est pro. Bricolé mais pro. Coloré, lumineux, joyeux. Certains textes ont été écrits spécialement, d’autres choisis pertinemment. Au-dessus, la salle s’emplit. Les comédiennes et les comédiens le sentent. C’est un 19 octobre, un peu avant la première représentation.
Au plateau, les techs s’activent entre échelles et escabeaux. Ils rigolent. Ça déconne mais ça bosse. Ils font avec les moyens du bord. Son, éclairage, ça va envoyer. Ballet des réglages. Faut pas se rater. Il y a un peu de pression. Il va y avoir du monde. C’est sûr. Le lieu a déjà son public depuis la « Fête dans les cartons ». Et le bouche à oreille marche dans les friches. Tous les techs sont au taquet pour l’inauguration. Faut que ça claque. Dans le hall, sur un plateau posé sur des tréteaux des chips, cinq baguettes, un saucisson, un camembert et quelques bières attendent les techs du 19 octobre 2003.
Au premier, dans le bureau, une metteuse en scène pose le front sur la vitre, elle sourit à la rue. Pleine, vivante, joyeuse. Le monde de la culture qui se fait est déjà là. C’est arrivé depuis le début d’après-midi, quelques bières ont été bues. On entend des rires depuis le bureau. Les autorités de la culture, celles qui se montrent viendront plus tard. Pour les photos officielles. Sur la grande table bleue, un homme relit un texte. Il a devant lui quelques livres ouverts, posés à l’envers. Derrière lui, une photocopieuse.
Sur son agenda, à la date du jour, elle a entouré 19 octobre avec un coeur sous lequel elle a noté inauguration, souligné deux fois. Elle ne peut pas savoir que le 19 octobre sera un jour important pour elle, plus tard. L’agenda est ouvert sur le bureau, à droite du clavier de l’ordinateur. Quand elle est assise à son bureau, elle voit la grande table bleue où l’homme relit. Elle aussi, elle a regardé par la fenêtre tout à l’heure pendant qu’il lisait. Maintenant, elle est en bas. Il lit toujours et annote un carnet.
Dans le hall, derrière la banque qui accueille les spectateurs, elle a l’allure d’une reine. Posés devant elle, un paquet de cigarettes avec un briquet bic violet, un téléphone portable Nokia, des billets à prix au choix, une liste de personnes invitées, une liste de réservations. Elle est la joie du lieu. C’est elle qui a monté les marches ce matin d’un 19 octobre, qui a ouvert. Depuis, tout le monde est arrivé.
Ça a commencé comme ça.