#LVME #09 | entrée, entrez

L’Entrée

Une frontière. Un seuil. Un lieu où le monde extérieur et l’intimité de l’intérieur se heurtent, se croisent, s’évitent parfois. Tout commence ici, ou tout finit. Cela dépend de ce que l’on porte en soi, ou de ce que l’on laisse derrière.

À droite, un escalier monte, ses marches en pierre polie usées par des années de pas. Il donne l’impression d’avoir été là bien avant la maison elle-même, comme une colonne vertébrale solide et immuable. À droite de la droite, un autre escalier descend. Mais ici, les contours se brouillent. Le béton est mangé par l’ombre, et les premières marches disparaissent dans une obscurité moelleuse et profonde, celle qui ne reflète aucune lumière.

Le sol, un béton ciré qui a connu des jours meilleurs, porte les marques de vies passées, on pourrait presque entendre les murmures des pas qui les ont tracées.

Un alignement chaotique de chaussures hante le bord des murs : des baskets fluo, escarpins d’un rose criard défiant toute harmonie. Une botte orpheline noire et élégante attend son double. Plus loin, une sandale de corde tourne sur elle-même, seule, comme si elle espérait encore le retour d’une paire disparue.

Sur une table en demi-lune un capharnaüm fascinant une étrangeté. Des clés, trop nombreuses pour appartenir à un seul endroit. Certaines sont droites et simples, d’autres tordues, oxydées, inutilisables, mais gardées comme des amulettes. Entre elles se nichent des porte-clés : une girafe miniature, un vieux jeton de casino, une dent de lait en résine. À côté, une pile de courriers se dresse comme une menace. Factures non ouvertes, recommandés, et au sommet, un jeu de cartes où le joker fixe celui qui oserait le regarder trop longtemps.

Adossé au mur, un meuble aux multiples casiers semble raconter l’histoire de ses occupants. Une écharpe aux teintes automnales repose sur un bonnet fluo, des gants – souvent dépareillés – s’empilent au hasard, des lunettes à montures vintage se cachent derrière des modèles dernier cri. Ici, tout s’entremêle : passé et présent, utile et superflu.

Une odeur d’humidité mêlée à un parfum d’agrumes flotte comme un avertissement ou un souvenir. Les murs, striés de traces de vie observent.

Une chatte rôde. Elle est grise, fine, presque invisible dans la pénombre. Ses yeux, deux fentes luminescentes scrutent tout, comme si elle était la gardienne du lieu. Elle se glisse sur la table, sa queue effleurant les clés qui tintent doucement. Ses mouvements sont fluides, hypnotiques, et lorsqu’elle saute sur le meuble, une lumière s’allume.

Personne ne l’a touchée. L’ampoule suspendue au plafond grésille faiblement avant d’inonder la pièce d’une clarté crue. Cela ne devrait pas être étrange – un capteur, peut-être ? – Mais la lumière s’allume toujours au moment exact où la chatte passe. Comme si elle savait. Est-ce une histoire de chat qui dort dans les rêves d’un autre ?

Et les bruits. Oh, les bruits. Le frottement d’une porte, une voix étouffée dans le lointain. Les sons se mêlent, se heurtent, se confondent, en quelque chose d’indéfinissable.

L’entrée est un théâtre. Des scènes s’y improvisent, des rencontres mises en scène éphémères, des passants. Monter ? Descendre ? Attendre ? Ici, tout reste possible, quelque chose observe l’imprévu, oui quelque chose, quoi qu’il en soit.

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