Roman maison #06 / Bords d’impasse

Il y a le bout bien lissé, le ciment y date de l’époque de son invention ou presque… Ça permet de faire aussi propre que la rue des Flandres où ça débouche et pourtant c’est déjà l’impasse, numéro 1. Des tombées d’eau y arrivent chaque matin et chaque soir et chaque fois, on y frotte. C’est pour ça que le ciment paraît toujours aussi frais, comme coulé de la veille. On y frotte pour faire disparaître les traînées de charcuterie qui ne manquent pas d’y tomber quand on transporte les plats cuisinés dans le petit hangar en longueur jusqu’à l’auto en break qui va les transporter jusqu’à la loge du marché Victor-Hugo.

Il y a le bout incertain, face au numéro 9, là où ça travaille pour construire une nouvelle maison. Le ciment qui déborde de la bétonnière toujours en action fait des cloques que personne ne prend la peine d’enlever, qui restent là, un peu éclatées par le froid de certains matins d’hiver mais ce qui importe, c’est que la maison s’élève, celle qui relèguera bientôt la maison du numéro 9 au numéro 9bis.

Entre le 1 et le 9, il y a à peine le numéro 7 de discernable mais justement, tout au long de la clôture du numéro 7, il y a le fossé et la guerre du fossé. La nuit, des pelles et des pioches sortent, tantôt du 9, tantôt du 7 et peut-être même du 1. Tout cela se passe avant que l’impasse soit goudronnée bien sûr. Et avant le tout à l’égout. Dans le fossé s’accumulent des eaux de pluie, des eaux de jardin, des eaux de ciment peut-être et peut-être même des eaux de lavage des marmites à charcuterie. Alors, si on creuse la nuit du côté du numéro 9, ça éloigne les eaux du 1 mais si on creuse de l’autre côté, les tâches grises du ciment délayé reviennent tout au long du 7 et jusque vers le 1…

Phil du charcutier entraîne ses petites autos sur le ciment bien propre mais glissant de son numéro 1. Il est vigilant aux virages trop serrés, aux freinages trop secs. Il deviendra pilote de course.

Phil du 9 entraîne ses petites autos là où il n’y a pas trop de bosses. Il est obligé de chercher sans cesse des pistes nouvelles, ça le fatigue un peu. Plus tard, il conduira une ambulance pour que s’écartent les obstacles quand on va à travers la ville.

Phil du numéro 8 n’a que du gravier. Cela oblige à de grands travaux préliminaires pour les petites autos. Mais cela fait regarder chaque gravier, sa couleur particulière et ses dessins. Plus tard, il fera de grandes randonnées dans les montagnes. En attendant, il se fait raconter les épisodes de la guerre du fossé de l’impasse.

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