roman maison #06/14# | fiction ou réalité

L’escalier aux 21 marches

Il est là, discret mais omniprésent, l’escalier qui s’enfonce vers les profondeurs de la maison. Vingt et une marches, ni plus ni moins. Chacune semble chargée de sa propre histoire à raconter — si tant est que quelqu’un ait la patience de l’écouter. L’escalier descend en une courbe douce, presque timide, comme s’il craignait d’attirer l’attention. Les premières marches, encore baignées par la lumière du rez-de-chaussée, ont un air rassurant. Puis, à mesure que l’on descend, l’obscurité gagne du terrain. La lumière vacille, hésite à suivre. Une ampoule nue pend au plafond, balançant légèrement au rythme des courants d’air invisibles. La cave attend en bas, silencieuse, presque vivante. Les murs suintent un parfum d’humidité ancienne. Mais c’est l’escalier lui-même qui intrigue le plus. Vingt et une marches, un chiffre étrange, imparfait, presque volontairement déséquilibré. Qui l’a conçu ainsi ? Pourquoi vingt et une, et pas vingt ou vingt-deux ?Descendre cet escalier, c’est traverser un seuil. On quitte la surface lumineuse de la maison pour s’aventurer dans une zone grise, entre rêve et réalité. À mi-chemin, on hésite. Faut-il vraiment aller jusqu’au bout ? En-dessous un renfoncement étroit, refuge des objets sans usage. Une pile de journaux jaunis, un sac de ciment troué, une ampoule grillée. Ce lieu ne vit qu’en silence dans l’ombre des marches.

On reprend la rampe

La chambre du premier étage ressemble à une vieille boite en carton. On y accède par un escalier aussi prétentieux qu’une chasse à courre, chaque marche s’impose comme un trophée. La porte, massive, ferme mal, mais cela semble sans importance : qui viendrait ici, sinon celui qui s’y cache ? Les murs disparaissent sous une tapisserie dense, aux motifs d’une chasse imaginaire. Cerfs figés, chiens lancés à pleine course, cavaliers invisibles. Tout y est mouvement, sauf la pièce elle-même. L’air est chargé d’une odeur de poussière et de cuir ancien. Sur le lit — un vieux sommier métallique —, une couverture grise, rugueuse, étalée sans soin. Au-dessus, un miroir ébréché, marqué de visages oubliés. Dans un coin, une armoire fermée. On hésite à l’ouvrir. Le fusil est forcément là, quelque part. Dans l’ombre d’un placard ou derrière une porte dérobée, il attend. Chargé ou non, on n’ose imaginer. Quant au propriétaire des lieux, rien n’indique s’il est encore là ou s’il a déserté depuis longtemps, son absence protège de l’oubli. On la sent partout, dans les plis des draps, dans le froissement des tapisseries. Une présence par défaut.

L’homme au fusil 

Il est là, quelque part. On le devine sans le voir, étouffé par l’échos des pièces trop grandes, trop vides. La maison de maître, bâtie au siècle dernier, semble posée dans un état de veille permanent. Rien ne bouge vraiment, tout est simplement là, prêt à reprendre vie à la moindre injonction. L’homme au fusil traverse les couloirs sans se presser. Son pas résonne sur les dalles froides, s’efface dans les tapis épais. Il connaît chaque pièce, chaque porte qui grince, chaque marche et son poids de souvenirs. Le fusil, accroché à son épaule, semble un prolongement naturel de son corps. Pas une arme de chasse, non. Un outil. Peut-être une protection, peut-être une menace. On ne sait jamais vraiment. Dans la chambre du premier étage, la lumière filtre à peine à travers les lourds rideaux. Il pose le fusil près de la fenêtre, le bois usé par les années. Il s’assoit sur le lit. Attente ou habitude ? Nul ne le sait. Il regarde la tapisserie, ces scènes de chasse répétées à l’infini, des cavaliers une poursuite sans commencement ni fin. Si dehors, le vent agite les arbres du parc. Dedans, seul l’homme veille.

L’escalier aux 21 marches

Sous l’escalier, un réduit sans souci d’élégance. Le béton est brut, inaltérable. À l’intérieur, des objets entassés : un balai sans poils, un vieux seau cabossé, des étagères bancales. L’odeur du moisi flotte encore, mélangée à celle des égouts. Les murs suintent d’un mystère qu’on ne cherche plus à percer. Le réduit ne s’ouvre qu’à de rares occasions, le temps d’y glisser une nouvelle chose inutile. Et puis, on referme, oubliant aussitôt ce qui s’y cache. Ce n’est pas un lieu à visiter, c’est un espace à éviter.

 On reprend la rampe

La chambre, au premier étage, est modeste et sombre. Les murs disparaissent sous une tapisserie aux tons fanés, où des scènes de chasse se répètent à l’infini : des cerfs bondissant, des chiens haletants, des cavaliers immobiles. Le papier jauni s’écaille par endroits, révélant le plâtre en dessous. Le lit en fer forgé, noirci par le temps, occupe le centre de la pièce. Le sommier grince dès qu’on y pose la main. Une couverture de laine épaisse, couleur tabac, est pliée au pied du lit. À gauche, une table de chevet en bois brut supporte une lampe à pétrole et un verre ébréché. L’armoire, massive et vieillie, dégage une odeur de cire et de vieux cuir. À ses pieds, une paire de bottes boueuses, abandonnées. Une chaise solitaire, dossier usé, se tient près de la fenêtre aux rideaux épais. Un silence qui pèse lourd.

L’homme au fusil 

L’homme au fusil est là, dans la chambre meublée comme une relique du passé. Le lit à baldaquin, massif, avec ses rideaux lourds, donne l’impression d’avoir vu des générations se succéder sans jamais être dérangé. Le bois du lit est verni, une patine qui capte la lumière, mais les draps, eux, sont ternes, un peu usés, comme si l’homme n’avait pas l’habitude de se coucher ici. À côté du lit, un lavabo Napoléon III, en marbre blanc, semble trop grand pour la pièce. Il brille sous le raie lumière, son lavabo rond bien poli, ses robinets d’époque que l’homme n’utilise jamais. Il ne se sert de rien ici, ni de l’eau ni du confort. Le fusil repose contre un coin de la table, sans hâte, comme une présence qui aurait passé son heure.il est là, seul lui un homme sans passé, sans futur, juste un corps dans l’ombre de cette chambre, entre le bois du lit et la froideur du marbre.

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