roman maison #05/14# | le paradoxe : la photo de la maison témoin

Sur la cinquième marche de l’escalier qui mène à la cave, une photographie, légèrement jaunie par le temps, est clouée sur le mur de droite. Elle attire l’attention, non par son éclat mais par l’étrangeté tranquille qu’elle dégage. À première vue, rien d’exceptionnel : une maison. Mais une maison qui semble appeler quelque chose, un témoignage peut-être.

La photographie capture une façade qui n’en finit pas de raconter, bien qu’elle reste muette. Le regard est invité à entrer, non par la porte, qui demeure obstinément close, mais par une série de signes. Une fenêtre entrebâillée laisse deviner un souffle d’air, peut-être une voix intérieure, un bruissement d’objets qui échappent à leur fonction. Une ombre se dessine, oblique, sur le côté, trahissant le passage du temps et l’orientation d’un soleil qui n’est plus.

Les volets ouverts fixent l’objectif comme des paupières levées sur un monde extérieur qu’ils semblent connaître par cœur. Leur battants un peu disjoints racontent une histoire de gestes répétés, de mains qui les ont poussés refermés presque machinalement. Les charnières murmurent le froissement du temps ; ouverts ils témoignent de ce qu’ils ont vu : des matins trop clairs, des crépuscules incertains, la pluie qui glisse, le vent qui s’infiltre. Témoins sans parole mais non sans mémoire. Leur inclinaison leur angle d’usure trahit l’invisible : des regards sortants et des absences entrantes Les murs portent des cicatrices. Pas celles qui racontent un âge, mais celles qui suggèrent des habitudes inscrites. Une corniche absente, une brique un peu plus terne, le cannage d’un lierre qui ne grimpe plus. On imagine les voix, les pas, les silences, les rires étouffés ou les pleurs contenus qui auraient pu résonner à l’intérieur.

Et puis, il y a cette sensation que la maison regarde, qu’elle observe. Non comme un objet qu’on contemple, mais comme une entité qui, par sa seule présence, appelle une réponse. La photographie ne dévoile rien, elle propose. Elle est un seuil, une invitation à traverser ce qui ne peut être ni touché ni vu. Son toit semble prêt à protéger, un lieu prêt à devenir un intérieur que l’on osera franchir. Une manière de rendre vivant ce qui semble figé.

La maison témoin se tient là offerte sans se livrer, une silhouette ancrée dans l’attente. Elle s’adresse au futur. Ce qui frappe ce n’est pas ce qu’elle montre mais ce qu’elle garde… 

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