La porte racle mais elle s’ouvre directement sur le jardin, arrive donc par là directement les tomates, les pêches, les fraises, les haricots, tout le reste du jardin et les lapins aussi, et même les roses et les violettes à la saison. Juste après la marche de ciment commence le lino, pauvre lino usé des pas et des renversements en tout genre ! Heureusement que le globe du plafond s’est rempli d’insectes et n’éclaire plus tout ça qu’en tamisé. L’évier se souvient presque du temps où il n’était que réceptacle de l’eau tirée du puits et versée depuis la citerne tenue en hauteur par un arceau. A sa gauche, calée contre l’aplomb de la fenêtre d’où l’on mesure bien la taille du jardin -une baleine du musée du Jardin des plantes jusqu’à la rue!- la bedoucette -eh oui, on n’est pas dans le Paris du préfet Poubelle mais dans le Toulouse du maire Bedouce, cette boite jaune à porte inclinable où l’on met tous les déchets, sauf ceux qui peuvent finir sur le tas de terreau du fond du jardin. La cuisinière à charbon trône de l’autre côté, sous la grande hotte, prête à tous les mijotages, à tous les réchauffements aussi. De là, les plats du midi passent directement sur la table en vieux plastique jaune, presque caoutchouté, à l’heure du Jeu des mille francs transmis par le grand transistor orange et blanc. Les chaises sont patientes, plus beaucoup de paille d’origine, peu à peu rapetassées avec des plaques de bois ajouré en forme de grande étoile. Le frigo est dans un coin, la cuisine a connu le temps où on n’avait pas besoin de lui, la fraîcheur du puits suffisait. Tout le reste de place est donné au grand placard blanc, tout un mur ! Au-dessus de lui est posée la cage aux serins. Par son espace à grands battants,Le Placard contient les tiroirs à couverts, les étagères à assiettes et à verres. Et puis la mystérieuse porte de gauche, celle qui ouvre sur de petites et profondes étagères, avec les boites à biscuits métalliques reconverties en réservoirs à boutons et à bouchons de pêche. Tout en bas la pelle fabriquée par un débris de hublot de La caravelle ramené de l’usine et le plumeau avec de vraies plumes d’oie. Et puis les capsules collées à la porte où un pan de tissu peut s’enfoncer mais ne ressort qu’avec effort. On y tient accrochées les serviettes de la toilette du soir ou du matin. Pas d’autre salle d’eau que la cuisine !
Un commentaire à propos de “Roman maison #03 / La cuisine du 8”
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Merveilleuse cuisine d’autrefois où le fonctionnel prime sur le bling-bling,à ras de terre entrent et sortent les miracles du jardin, la pierre d’évier en granit râpeux a sans doute perdu sa pompe à bras en fer forgé ( le luxe après l’eau tiré du puits). J’ai connu ce type de cuisine l’été en Beaujolais, une toute petite femme s’y affairait, en sabots de bois dehors et en grosses chaussettes et savates à l’intérieur. Elle savait la frontière entre le propre et le sale, entre l’étable à vache, la cave à baratte et fromage, le cuvage à vin et la maison toujours impeccable par injonction douce mais persistante au mari un peu bourbeux, irascible dehors et doux dedans, un enfant braconnier presque, un chasseur à chiens nourris au pain et à l’eau jusqu’à l’ouverture des battues à fusil. Leur vie simple entre vendanges et jardin, portée de chats et lapins, poules en liberté dans la cour, rentrant le soir pour le bonus en céréales. Quelle nostalgie soulève votre bel inventaire. Merci Philippe !