Les vers ont percé la quille. L’espoir à la dérive. Les rimes en gouvernail. À la confluence du corps et de l’esprit, la phrase liquide au bout de mes doigts, coule encore toute humide sur le plancher de bois flotté de ma frêle embarcation. Les embruns absents, l’air vide et sec creusant les cornées rougies aux paupières immobiles, l’acharnement des vers achevant la destruction, grignotant tout espoir de regagner terre, le courant en rideau, s’écroulant en secousses sismiques, miroir opaque, parfois translucide où l’odeur immonde du limon visqueux empêche l’évaporation de l’eau sale, lourde de vase verte. L’averse est souhaitable. Faute de déluge, l’espérance d’une brume de pluie fine et fraîche qui adoucisse la brûlure du soleil grimaçant sur le visage tout entier tordu dans une crampe qui sèche les lèvres closes, striées de gerçures s’épuisant par la répétition d’un cri ne trouvant pas d’écho. Le vent tempête, point de nuages à l’horizon. Sous l’eau plate, miroitante, presque trop calme, les tourments des tourbillons sont sauvages. Le corps trop faible pour écoper une vague supplémentaire — celle de trop — n’attend rien. Tantôt alangui dans une pose, paressant, demi-avachi, d’autre fois crispé la mandibule pendante, s’effondrant sur sa verticale. Les berges en guise de ligne de flottaison, alternant le sable et les galets gris, effaçant les contrastes où flotte l’âme enivrée par le léger roulis. La mélancolie parée d’écume soyeuse contemple le miroir de son propre reflet ridé en surface. Derrière cet objet de pacotille, on distingue enfin une présence humaine. Un peintre se hâte, court à la descente des rapides, soucieux de ne pas rater la fin. Le fracas magistral et les paillettes d’éclat liquides en volutes lui font pressentir la promesse d’un chef-d’œuvre. Tragique. Fascinant. Peut-être le dernier. Le visage esquisse un sourire, la lèvre blanche tremblotante devant tant de beauté. Au début, le mélange des teintes est un peu brouillon. L’artiste grisé par la vitesse, est tout entier absorbé à sa tâche laissant traîner un pinceau de vert, presque noir, s’épuisant sur un tendre pastel, puis, juste à temps, avant que le vers ne s’effondre, pose ça et là, la goutte rouge d’un toit ou la ligne verticale d’un clocher. La chute est proche. Le bras d’eau aux courants entrechoqués claque en cascades rouges. Violence subie, presque consentie. La nausée en reflux de vagues acides. Le cœur s’arrime de chaque côté de la barque et tasse tout le dépassant pour donner un peu de poids et de stabilité. L’homme se démène, le sang aux joues, trainant à grand-peine ses semelles chargées de terre mouillée, rinçant, séchant, trempant les pinceaux, répondant au besoin des tonalités incessamment changeantes. La rive, du reste, pour seul repère. Elle est guide. Le pourtour aspirant l’avancé des couleurs. Ça et là quelques taches plus floues au-dessus de la ligne des eaux. De grosses gouttes salées s’écrasent sur la toile en aplats bleutés. Certaines, au sommet, adoucissant en flaques étirables le bleu électrique, coulent de son front. Plus bas, là où ses doigts malaxent les couleurs, quelques formes fugaces, éclatements translucides, témoignant de ses larmes. Sur le chevalet de bois vermoulu, la toile reste immobile. Et l’on devine à peine les remous assourdissant de la solitude sous les spirales blanches du tableau.
quelle image ! et quel texte 🙂
Merci de ton passage Brigitte!