Ce n’est pas tout à fait une foule. C’est une assemblée. Qui parle à tour de rôle au micro qu’ouvre et ferme une femme ou un homme de pouvoir chargé.e de distribuer et modérer la parole publique. Chaque séance est enregistrée. La caméra ne se déplace pas n’importe où. Elle cible l’oratrice ou l’orateur qui malmène souvent le cou flexible d’un micro qu’il faut ajuster à chaque prise de parole. Selon le degré de calme ou de colère, la courbure pourtant docile du micro s’en ressent. Derrière la distributrice de parole, en ce moment, il y a deux hommes cravatés, cinquantenaires ou plus d’apparence, un peu tassés sur leur chaise, se tenant de biais aux trois-quarts, on ne sait pas à quoi ils servent. Juste en les regardant. On ne sait pas ce qu’ils pensent. Souvent ils ont l’air de s’ennuyer. Les séances sont interminables et pas toujours agréables à subir. Et puis un jour, en face de ces trois, se lèvent des député.e.s qui brandissent chacun.e une affichette A4 en format paysage, une protestation dessus NON au 49. 3 . C’est une atteinte au règlement intérieur que de perturber ainsi le déroulement de la séance. La présidente d’assemblée fige son sourire et rappelle à l’ordre les contrevenant.e.s, une poignée d’ hommes silencieux à redingote et chaînettes dorées montent dans les rangées pour confisquer les affiches et faire rasseoir les contestataires. C’est une scène de petite foule frondeuse, non violente mais non contenue. Le début (ou la suite) d’une révolte qui ne s’éteindra pas facilement. L’autre foule qui est à l’extérieur et qui regarde le débat parlementaire sur ses écrans sait que l’insatisfaction n’arrêtera pas sa vague qu’elle est profonde et inquiétante. « La foule ne pense pas » disait Gustave Le Bon. L’affirmation est peut-être à revisiter elle -aussi.
Un Homme dans la Foule