La sonnerie avait retenti longtemps, celle du fixe, personne ne l’appelait jamais sur celui-ci, elle avait cru à un énième appel venu lui vanter les mérites d’une isolation à un euro, aussi ne s’était-elle pas inquiétée, quand l’autre, le cellulaire, avait pris le relais, jouant « Paroles, paroles, paroles », elle se mit à chercher nerveusement l’engin toujours planqué quelque part dans l’appartement, soulevant un coussin, un livre – le son provenait de la table du salon – elle eut à peine le temps de lire le nom qui s’affichait, appuya précipitamment sur l’icône verte, pour l’entendre à l’autre bout du fil – depuis longtemps ils ne s’étaient pas parlé de vive voix, échangeant ici ou là un mail, une carte envoyée par la poste, quand cela se faisait encore de s’écrire, – et là, quelle heureuse surprise, après les textos où il parlait de retrouvailles, il la joignait enfin –, le ton était à la plaisanterie, il mettait de l’humour dans toutes ses réparties, c’était comme une seconde nature chez lui, sa marque de fabrique, une forme de séduction aussi, ils évoquèrent très vite les souvenirs anciens – datant d’une petite trentaine d’années – déjà dix-sept ans qu’ils ne s’étaient pas revus, leur amitié avait tenu bon malgré l’éloignement, quand la rédaction avait éclaté, les renvoyant à des boulots de pigiste, dans des revues qui finissaient toutes par mourir de leur belle mort, puis d’écrivain public pour lui en région parisienne, et de rédactrice dans la presse institutionnelle pour elle, en province, – la dernière fois, souviens-toi, c’était en montagne, dans cette grande maison entourée de silence –, il l’y avait rejointe à moto sur la route du midi, déjà leurs amours respectives avaient subi les aléas de la vie à deux, les ruptures s’enchaînant, il leur était devenu difficile de croire à la survie d’un couple au-delà de quelques années, ils s’accordaient l’un et l’autre sur l’aliénation sournoise qui finissait par briser la joie de vivre, et avec l’heure de la retraite, à la soixantaine bien tassée maintenant, le téléphone les rapprochait dans une complicité amusée, leur voix toujours identique ne trahissait rien du temps qui avait passé – la voix, ce chant si particulier à chacun, insaisissable une fois le corps emporté par la mort –, leurs rires s’entrechoquaient, ils parlaient en même temps, leur mémoire les ramenait à des détails oubliés qu’ils reconstruisaient à deux, tâtonnant quant aux articles, aux lieux, aux interlocuteurs rencontrés, elle se réjouissait de la prochaine rencontre qu’ils organisaient depuis quelques semaines, leur joie partagée la rassurait sur ce qu’ils étaient devenus, oui ils se reconnaîtraient, malgré les rides, l’embonpoint, la calvitie, elle l’attendait malgré les mesures annoncées en raison de la pandémie de COVID19, quand plus lucide qu’elle, il éteint d’un seul coup son enthousiasme, arguant qu’il était plus raisonnable de reporter leur rendez-vous, pour finalement briser le silence qui venait de la saisir : « croisons les doigts, on va y arriver ».
au débit j’ai reconnu des réactions familières (même si elle trouve assez vite l’appareil finalement) ensuite les ai suivis et cela filait tant qu’à la fin, émergeant de leur histoire, peut-être pour un temps, espérons) je me suis dit que cela ferait une très bonne réponse au #8
ah ! Brigitte, la 8, je n’y suis pas encore… mais tu me donnes envie d’y aller… comme quoi…
Douces émotions, vivement les retrouvailles !
@Caroline Diaz ah oui comme vous dites !
Des bienfaits du téléphone en cette période Covid-19 et des espérances…
on s’y retrouve totalement et on glisse avec eux deux vers la possibilité d’une rencontre paisible, bientôt… plus tard…
Françoise, oui, il a du bon ce fameux fil-à-la-patte ! Jamais je n’aurais pensé en avoir tellement besoin… merci de ta lecture.
Étrange proximité avec l’histoire racontée dans mon texte, mais beaucoup plus de réussite dans la présence !
@Huguette Albernhe… c’est que nous sommes deux grandes amoureuses, sans doute…
Vous ai lues toutes les deux du coup. Merci à vous deux, intéressant de vous lire et à travers vos textes de comparer les voix qui se retrouvent après de longues années, ce que ça fait en écriture… Merci.
Vous nous laissez un peu en plan tout de même, Huguette et Marlen. 🙂
Vivement le dé-confinement qu’on découvre la suite !!…
Voilà tout est écrit. 🙂 La suite, la suite !