Oter ses sandales et palper la fraîcheur de l’herbe détrempée par le gros orage de la nuit. Un geste de l’enfance. Fermer les yeux pour mieux ressentir la vigueur de la terre envahir le corps. Pour éloigner l’appréhension qui gagne. Admirer l’envol des passereaux tout autour. D’un tremble à un hêtre, d’un bouleau à un cyprès. Ils s’appellent, criaillent dans leur essor, déchirant dans leur course le bleu franc du ciel. Deux mésanges huppées se poursuivent un instant au pied des conifères. Les observer, tout de gratitude pour ce cadeau inattendu, une aquarelle en gestation dans un coin du cerveau. Se laisser surprendre par le moteur, au loin, d’un tracteur trouant le silence de la matinée. Jeter un œil derrière soi, vers les rangées de vignes palissées, feuillues, aux fleurs fécondées qui verront naître dans un mois les premières baies. Ici, le paysage se noie dans les vignobles, les champs de lavande, un village sur un éperon domine la vallée, un autre s’est agrandi de lotissements et d’une zone commerciale ; les montagnes des Baronnies, au loin, veillent sur les hommes. A vingt mètres devant soi voir se dresser l’ancienne grange. N’en rien reconnaître d’abord. Se laisser happer par le dépit. Constater que la façade de pierre a été percée de larges baies vitrées, qu’une glycine habille une structure de métal rouillé, protégeant de son ombre une terrasse dallée. Apercevoir à droite, le puits obus émerger toujours de la surface du terrain. Soupirer de soulagement. De son dôme gris sombre s’échappe le chant dru d’un jet d’eau sur la pierre creusée. Sourire et pleurer des larmes soudaines. Reconnaître l’escalier bordé de murs témoins d’un passé qui est le sien. En grimper les marches jusqu’à la terrasse, attraper du regard l’érable du Japon au feuillage éclatant, le grenadier d’ornement taillé, fleuri de capuchons rouges, la deuxième terrasse enherbée, surélevée, sur la droite, qui donne accès à un corps de bâtiment inexistant dans son souvenir. De quelles espérances avoir nourri les années en revenant ici ? Un coup de vent brutal anime les carillons suspendus à l’érable. Il sursaute, égaré, piégé dans son présent. Il est revenu.
merci pour ce retour aux sources
merci à vous de votre passage ici !
Bonjour Marlen,
Du passage d’un oiseau à l’ouverture sur l’horizon, et retour à ses pieds, on suit bien cette sensation quand tout et rien sont pareils et différents à la fois,
bonne suite,
Cat
Oh ! merci Cat, tout passe par le corps pour cet homme que je devine seulement !
« Fermer les yeux pour mieux ressentir la vigueur de la terre envahir le corps » mais les rouvrir et voir s’abîmer ou transformer le souvenir
Oui, Brigitte, c’est la surprise qui attend mon personnage !
On ne fait que deviner, on tourne autour, on hésite à lui donner même un pronom (juste à la fin), on fait naviguer le regard dans ce paysage que tu sembles bien connaître…
On soupire, on espère… après lui…
Je me disais que cette succession de verbes à l’infinitif lui permettait peut-être d’éviter de trop se laisser happer par les émotions de ce retour… J’aime beaucoup cette manière de se connecter à la nature pour entrer en résonnance avec soi-même. Et ça marche car à la fin, il arrive à revenir au présent tout en intégrant le passé. Et on est avec lui.
Marlen, je reviens vers vous après avoir lu vos différents textes.
J’aime votre écriture sensible qui nous apporte les images au goutte à goutte dans leurs descriptions fines – La nature, ses couleurs, ses ressentis sont extrêmement bien décrites et posées sur le papier (!) –
J’aime l’histoire de cet homme dont on ne sait pas grand chose pour le moment, mais dont le retour nous évoque bien des choses à venir. Le passé, le présent et l’avenir de cette histoire est entre vos mains et j’ai envie de la suivre.
J’ai aimé aussi l’histoire de cet personne qui a écrasé quelqu’un et qui a fui et effectivement, est ce l’homme de votre histoire…
Donc, merci pour ces découvertes et une belle continuation dans votre écriture. A bientôt.
Bon dimanche.